Le comédien incarne Auguste Maquet, le nègre de l’écrivain français, dans L’autre Dumas (Safy Nebbou, 2010). Il raconte sa rencontre avec les écrits de Dumas. Une vraie révélation.
Archive – Article publié le mardi 9 février 2010
Quand avez-vous découvert les romans d’Alexandre Dumas ?
Benoît Poelvoorde : Vers 14 ans. J’étais scolarisé chez les jésuites. Ils possédaient une bibliothèque triée sur le volet et Dumas en faisait partie. J’ai d’abord lu Les trois mousquetaires, puis Le comte de Monte-Cristo. Par contre, La reine Margot ne faisait pas partie des livres autorisés ! Pour moi, c’était la télé de l’époque, comme les épisodes d’une série, avec le sens de l’aventure et de la narration qui caractérise Dumas. Gérard Depardieu (qui incarne Alexandre Dumas dans le film, ndlr) m’a d’ailleurs dit que c’est grâce à Dumas qu’il a appris l’histoire de France, car l’écrivain était aussi un grand biographe. De nombreux historiens qualifiés travaillaient pour lui.
Quelle était sa grande qualité ?
B. P. : Il avait un très grand sens du récit. Comme dans les grandes séries télé actuelles, il savait densifier tous les personnages, il prenait le temps de les complexifier, alors que le cinéma ne peut plus se le permettre. Par exemple, le comte de Monte-Cristo est un héros à la fois bon et mauvais. Dumas est un vrai vulgarisateur. Il a permis à des générations, pas forcément les plus cultivées, de connaître la grande histoire de France. Il a donné ses lettres de noblesse au feuilleton. La preuve : il est toujours adapté, au cinéma comme à la télé, en France comme à l’étranger. Dumas est universel.
C’est un de vos rares rôles dans un film d’époque...
B.P. : Oui, Auguste Maquet est un véritable personnage historique, dans le sens où il appartient à l’histoire de France. Pour ces rôles, tu te glisses dans le costume et tu as déjà fait 60 % du personnage. Tu ajoutes 35 % pour le texte et 5 % pour l’énergie que tu vas mettre à révéler un personnage universel plutôt qu’historique.
Quelle est la part de vérité dans le rôle que vous incarnez à l’écran ?
B. P. : La grande partie du rôle est vraie. En revanche, l’histoire d’amour avec Charlotte Desrives, jouée par Mélanie Thierry, est une invention. C’est le déclencheur nécessaire à la rébellion de Maquet. Dumas ne payait pas ses droits d’auteur, il aurait été mesquin de résumer la dispute entre Dumas et son nègre à une sombre histoire d’argent. Auguste Maquet était d’accord pour écrire avec Dumas et rester dans l’ombre. En revanche, exister dans le regard d’une femme va lui donner des ailes. C’est comme quelqu’un qui a une vie assez banale et qui, du jour au lendemain, roule en décapotable. Il y a souvent dans ce cas une femme derrière cette envie.
Vidéo : Bande-annonce de L’Autre Dumas
Et sa vie s’en trouve transformée...
B. P. : En effet, lui qui était royaliste se retrouve à lutter avec les républicains. De manière un peu ridicule, car il prend le train en marche. Mais je pense que 99 % des hommes auraient réagi ainsi. Le moment le plus terrible survient quand on s’aperçoit de sa propre imposture.
Cette relation entre Dumas et Maquet aurait-elle pu exister de nos jours ?
B. P. : Je ne suis pas sûr. A cette époque, la seule façon d’être célèbre était d’apposer sa signature sur le livre. Maintenant, n’importe quelle émission invite des auteurs, ils font partie du jeu médiatique. Mais cette exposition est à double tranchant. Lorsqu’un écrivain est sur le plateau d’une émission de divertissement, il sait qu’il endosse un rôle, qu’il sera réduit à sa plus simple expression. Auguste Maquet, qui tenait la littérature en estime, ne se serait jamais présenté à ce genre d’émission.
Il exprime pourtant le besoin de sortir de l’ombre écrasante de Dumas...
B. P. : Oui, il y a cette demande faite à sa famille que soient gravées sur sa tombe, sous son nom, les inscriptions Les trois mousquetaires, Le comte de Monte-Cristo, La reine Margot. A la fin de sa vie, on a même trouvé dans sa bibliothèque les livres écrits avec Dumas, reliés sur la tranche, avec son nom en gros, et Dumas en tout petit. C’est triste et humble à la fois.
Le métier de nègre est-il toujours le même aujourd’hui ?
B.P. : A l’époque, le recours à des nègres est courant. C’est Gérard de Nerval qui présente Maquet à Dumas, mais celui-ci en a eu pléthore à sa disposition. A notre époque, il est plus difficile de garder leur existence secrète : tout le monde sait qui travaille pour qui ! Auguste Maquet, qui est un grand écrivain, ne disposait pas de la tribune médiatique qui existe aujourd’hui. Pour une question d’éthique littéraire, jamais il n’aurait pu révéler ce secret. Par contre, il est amusant de voir que Dumas, éternellement célébré, est mort pauvre, alors que Maquet, qui a sombré dans l’oubli, est mort riche.
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