Catherine Frot est une actrice accomplie, au cinéma comme au théâtre. Direct Matin l’avait rencontré en 2007, à quelques heures de la 21e Nuit des Molières. Elle avait accepté, au cours d’une discussion sur sa carrière au théâtre et au cinéma, d’évoquer sa vision du métier d’acteur et ses rencontres marquantes.
Archive – Article publié le 15 mai 2007
Comédienne, c’était une vocation dès l’âge de 14 ans ?
Catherine Frot : En fait, je n’étais pas sûre de vouloir devenir comédienne, je savais que je voulais faire quelque chose d’artistique. Le théâtre m’attirait, comme c’est souvent le cas à l’adolescence, mais j’étais aussi tentée par la musique, le dessin. A un moment, j’ai même hésité à faire les Beaux-Arts, mais c’est vrai que j’ai été très encouragée, dès l’âge de 14 ans, au conservatoire de Versailles, parce que j’avais beaucoup de succès dans mes petites scènes. J’ai donc continué en faisant l’école de la rue Blanche, puis le conservatoire, tout cela assez facilement, avec beaucoup de joie et d’envie.
Vous avez préféré le théâtre au cinéma ?
C. F. : Non, en fait c’est venu par la force des choses, parce que lorsque l’on est dans un conservatoire, c’est toujours le théâtre au départ. On commence sur une scène, sur les planches et puis il y a des auteurs, de grandes signatures littéraires : Shakespeare, Brecht, Marivaux...
Vous aviez une prédilection pour le comique ?
C. F. : Oui, car quand on est au conservatoire, il y a toujours cette notion d’emploi : qui va faire le valet, la jeune première, etc. Quand on est une jeune fille, on a soit l’emploi de la candeur, soit l’emploi de la jeune première, et moi j’étais un peu dans les deux. J’avais beaucoup de succès dans le registre de la comédie : les soubrettes chez Molière, les naïves... C’est un registre que j’ai pas mal exploité, parce que j’adore cela et que je faisais rire à gorge déployée... Quand j’ai passé le conservatoire, j’ai joué des scènes de candeur absolue, tirées de La dispute de Marivaux, et en même temps totalement l’inverse dans La mégère apprivoisée de Shakespeare. Je me suis toujours sentie un peu dans les deux registres.
En septembre 2006, vous avez joué dans la pièce de Florian Zeller, Si tu mourais. Le théâtre vous manquait, après 5 ans de cinéma ?
C. F. : En fait, plus j’avance dans mon métier — j’approche des 30 ans de carrière, c’est hallucinant... — et plus je me rends compte que j’adore profondément le théâtre. Je sors d’une dizaine d’années de cinéma «non-stop». J’en suis très heureuse tout en éprouvant une sorte de manque car au théâtre, il y a des choses extraordinaires, de grands textes, de grands rôles. On est seul en scène avec ses partenaires face au public. L’acteur est intégralement responsable de l’émotion qu’il va donner, il a toute la charge sur ses épaules et je trouve cela formidable. C’est une très bonne école : pour progresser, c’est grandiose. Le cinéma c’est passionnant, mais on est un peu l’outil du metteur en scène, on doit répondre à l’univers de quelqu’un d’autre. On existe tout en appartenant à un ensemble.
Vous êtes aujourd’hui une actrice très populaire. Comment analysez- vous cette proximité avec le public ?
C. F. : Je ne l’analyse pas tellement, mais j’ai toujours eu envie de conquérir un certain public. Quand je lis des scénarios, je pense souvent au public, je me mets à sa place. Je le lis une première fois en tant qu’actrice, pour savoir si le rôle m’intéresse, mais très vite j’ai la sensation d’être spectatrice et j’imagine vers où je peux emmener le public.
Vidéo : Catherine Frot dans La Dilletante (Pascal Thomas, 1999)
Vous avez tourné avec de nombreux réalisateurs. Quels ont été vos rencontres et vos rôles les plus marquants ?
C. F. : C’est toujours difficile, j’ai peur d’en oublier... Il y a Un air de famille, la trilogie de Lucas Belvaux (Après la vie, Cavale, Un couple épatant) car c’était assez étonnant qu’ils viennent me chercher pour jouer cette ex-terroriste. Cela m’a permis de réinventer mon métier d’actrice. J’ai aussi adoré jouer dans Chaos de Coline Serreau. Pour La dilettante, j’ai aimé la dimension poétique de Pascale Thomas. Enfin je citerai Odette toulemonde, parce que c’est mon dernier film et que c’est un personnage magique...
On vous sent très proche de personnages comme Odette Toulemonde ou La Dilettante. C’est votre côté fantasque ?
C. F. : Oui, je l’ai ! Je peux vraiment le donner et comme c’est un peu rare, les gens sont contents de me voir là-dedans. En même temps, je ne crois pas que l’on puisse me cantonner à ça. Si je ne faisais que des films de cette nature, il me manquerait quelque chose.
Comment choisissez-vous vos rôles ?
C. F. : Ces derniers temps j’ai eu envie d’alterner le noir et le coloré. C’était même physique : lorsque je sortais d’un film sombre j’avais envie d’aller vers un film plus léger. Mais en France, vous êtes souvent méprisée lorsque vous jouez des comédies. Les très bonnes sont rares.
Comment travaillez-vous vos rôles ?
C. F. : C’est assez différent chaque fois, cela dépend du metteur en scène.
Comment s’est passée cette rencontre avec Odette Toulemonde ?
C. F. : En fait, il devait y avoir beaucoup de danse dans le film, mais Éric-Emmanuel Schmitt y a renoncé car le film était trop long. Il a du faire des choix et il ne reste que deux ou trois scènes. Pour ce rôle, j’ai eu un mois et demi de travail de danse, j’ai adoré cela. J’avais appris toutes chansons de Joséphine Baker, je mettais mon énergie et je crois que j’ai trouvé Odette dans le mouvement, dans la danse.
Vidéo : Bande-annonce d’Odette Toutelemonde (Éric-Emmanuel Schmitt, 2007)
Dans La tourneuse de pages et dans Odette Toulemonde, vos derniers films, vous incarnez des personnages radicalement différents. De quel type de rôle vous sentez-vous la plus proche ?
C. F. : Ni l’un ni l’autre, en fait. Je me sens aussi éloignée d’Ariane Fouchécourt que d’Odette. Je me situe entre les deux. Ariane Fouchécourt est en dépression, elle a une séduction noire, elle est gênante, l’empathie est compliquée. Tandis qu’Odette, c’est l’inverse, on ne peut être que dans l’empathie. Dans chaque rôle, je me sens à côté de moi-même, mais en même temps j’y mets beaucoup d’émotion. J’y crois, mais ce sont des personnages qui sont en dehors de moi.
Florian Zeller dit que vous oscillez toujours entre le tragique et le comique.
C. F. : Oui, c’est comme chez Shakespeare, il y a ce sentiment double, du souffle tragique et de l’incongruité de la vie. C’est cela l’existence. Dans la pièce de Florian, j’ai eu l’occasion de travailler cette double notion et j’ai adoré. Cette femme qui vient de perdre son mari et qui apprend qu’il avait une double vie, c’est tragique et en même temps elle a des comportements risibles. J’ai trouvé très intéressant d’analyser les comportements de quelqu’un dans le désarroi. J’ai dit oui tout de suite.
De quel rôle rêvez-vous au théâtre et au cinéma aujourd’hui ?
C. F. : Des classiques, et parmi les écrivains du nord de l’Europe, Ibsen, Strindberg... Les auteurs contemporains m’attirent aussi, Jon Foss par exemple. En même temps, j’aimerai jouer une comédie musicale au théâtre, un opéra bouffe ou quelque chose comme cela...
Et au cinéma ?
C. F. : J’aimerais jouer un rôle double, tragi-comique ou quelqu’un de schizophrène, un cas psychiatrique. Quelqu’un qui est
à la limite de basculer et que l’on saisisse cette limite-là.
Avec quels acteurs aimeriez-vous tourner ?
C. F. : J’aimerais jouer avec des monstres sacrés : Robert Hirsch, Michel Bouquet, ils sont extraordinaires.
Vidéo : Catherine Frot dans Un Air de famille (Cédric Klapisch, 1996)
Vous avez une référence ultime, un modèle ?
C. F. : J’ai plusieurs références, des figures du passé, comme Katherine Hepburn. Et aujourd’hui des actrices telles que Gena Rowlands ou Julianne Moore.
Vous êtes une boulimique de travail, deux à quatre films par an depuis 2003. Vous avez dit vouloir faire une pause.
C. F. : Je fais une pause depuis un certain temps, je ne travaille pas en ce moment et ne suis pas pressée de revenir. Pour l’instant, je m’occupe des miens, je vais au cinéma, je vois ou revois les films classiques, je vais à des expositions de peinture...
A quand le retour ?
C. F. : J’ai un projet, mais je ne peux pas vraiment en parler pour l’instant...
Si vous n’aviez pas été actrice ?
C. F. : J’aurai peut-être pu faire du dessin, je peins et je dessine.
La cérémonie des Molières a lieu ce soir. Vous êtes nommée comme meilleures actrice dans Si tu mourais. Vous êtes parmi les favorites...
C. F. : C’est un rôle qui m’a beaucoup plu, et je serais contente d’avoir un Molière. Je suis très émue qu’il y ait aussi Isabelle Adjani en lice (pour son rôle dans Marie Stuart), car je l’ai connue à ses débuts, elle a eu une réussite flamboyante.
La scène selon Éric-Emmanuel Schmitt
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Annie Girardot, la classe populaire
Isabelle Huppert, l’actrice caméléon