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Anna Gavalda : le plaisir, c'est tout

Anna Gavalda en 2009[Capture d'écran Youtube]

Révélée en 1999 par un recueil de nouvelles intitulé Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part, Anna Gavalda a depuis écrit deux romans : Je l’aimais et Ensemble c’est tout. Deux énormes succès.

 

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1999. La jeune professeur de français, qui enseigne en région parisienne, est encore très peu connue du grand public. Tout juste a-t-elle décroché quelques années plus tôt un prix décerné par France Inter pour La plus belle lettre d’amour. Mais, en cette dernière année du siècle, paraît Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part. Ce recueil de nouvelles est le point de départ d’une œuvre qui va conquérir des millions de lecteurs. Dans les douze nouvelles qui composent le receuil, elle peint des personnages ordinaires confrontés au quotidien.

Lors de sa sortie, rien ne laissait présager de son succès. Les nouvelles se vendent mal et Le Dilettante est une petite maison d’édition qui ne dispose pas des moyens marketing des leaders du secteur. Pourtant, au bout de deux mois, les 20 000 premiers exemplaires, sortis fin août, sont épuisés. « En novembre, on a fait un novveau tirage de 20 000 exemplaires. On a déjà trouvé que c’était significatif. Au Salon du livre, en mars, elle reçoit le prix RTL-Lire, et 100 000 exemplaires ont déjà été vendus », se souvient Dominique Gauthier, directeur des éditions du Dilettante. « C’est parce que certains libraires courageux ont lu le livre et l’on conseillé aux lecteurs », analyse Emmanuel Delhomme, qui tient boutique à Paris. « Le rôle des libraires a été capital », confirme Dominique Gauthier. Et le bouche à oreille fonctionne. Le livre continue de se vendre. « C’était une surprise complète. Si quelqu’un m’avait dit que je vendrais un recueil de nouvelles à 250 000 exemplaires, je ne l’aurais pas cru », explique l’éditeur.

 

Vidéo : Bande-annonce de l’adoptation de Je l’aimais (Zabou Breitman, 2009)

 

 

Ensemble, c’est tout

Je l’aimais, le deuxième livre et premier roman d’Anna Gavalda, paru au printemps 2002, est aussi celui qui est passé le plus inaperçu. Au centre du récit figure le dialogue entre une femme et son beau-père. Le mari de l’une et fils du second a quitté épouse et enfants. Dans ce roman, Anna Gavalda affirme son style. Le roman a été adapté par Zabou Breitman en 2009 avec Daniel Auteuil et Marie-Josée Croze.

On taxe souvent les livres d’Anna Gavalda de romans féminins. Elle serait essentiellement lue par des femmes, qui plus est d’un âge proche du sien, entre vingt-cinq et quarante ans. « Pour arriver à de tels chiffres sexes et s’adresser à tous les âges », répond Dominique Gauthier. Des chiffres qui grimpent en flèche. En 2004 sort Ensemble c’est tout, son troisième livre, et deuxième roman après Je l’aimais. Le succès de librairie est considérable. Près d’un million d’exemplaires se sont vendus en grand format. L’édition de poche parue en septembre 2005 flirte avec des chiffres similaires. Le phénomène Anna Gavalda est né.

Il se renforce avec l’adaptation du roman au cinéma. En 2007, Claude Berri porte à l’écran l’histoire du trio qui avait séduit les lecteurs. Audrey Tautou joue le rôle de Camille, employée d’une société de nettoyage, Laurent Stocker campe Philibert, jeune aristocrate un peu coincé et Guillaume Canet incarne Franck, un cuisinier, un mauvais garçon au cœur tendre.. Son succès est immédiat : le film attire plus de 2 millions de spectateurs. Et il se répercute sur les ventes du roman. L’institut Edistat-Titelive, qui réalise des études sur le marché du livre, enregistre une hausse des ventes pendant trois à quatre semaines. Le format de poche se vend trois à cinq fois mieux qu’en temps normal, avec des pointes au-delà des 16 000 exemplaires par semaine, chiffres assez proches de ceux du lancement.

 

Vidéo : Bande-annonce d’Ensemble, c’est tout (Claude Berri, 2007)

 

 

Un dessin pour chaque lecteur

Anna Gavalda gagne encore en notoriété. Son nom seul suffit à faire vendre. Dominique Gauthier résume l’ascension fulgurante de son auteur : « En 1999, les lecteurs achetaient un livre avec un chien sur la couverture (Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part, ndlr). Aujourd’hui, ils achètent un roman signé Anna Gavalda ». Pour preuve, le premier tirage à 200 000 exemplaires de La consolante, sorti en 2008, n’a pas suffi à satisfaire les commandes des libraires. Un nouveau tirage de 100 000 exemplaires a été réalisé, avant même la sortie officielle. Et les éditions du Dilettante n’excluent pas de devoir réimprimer.  

Des chiffres inhabituels pour cette maison d’édition. Et un réseau de distribution plus large qu’à l’accoutumée. De façon générale, les ouvrages du Dilettante, dont la diffusion reste confidentielle, figurent essentiellement dans les rayons des librairies de taille importante, dites librairies de premier niveau. Mais lorsqu’il s’agit d’Anna Gavalda, ce périmètre s’étend... jusqu’aux grandes surfaces alimentaires. Environ 15 % des exemplaires d’Ensemble, c’est tout se sont vendus en supermarché.

Les romans d’Anna Gavalda touchent le grand public. Pourtant, l’auteur se fait rare dans les médias. Pour la promotion de son nouveau livre, elle a refusé les émissions de télévision et de radio. Tout juste a-t-elle accepté de répondre à quelques interviews réalisées par courriel. « Elle n’est pas people, on ne sait rien de sa vie privée », explique Emmanuel Delhomme. « Elle n’aime pas trop s’exposer, elle aime les rencontres avec les lecteurs », confirme Dominique Gauthier. Il y a quelques années, lors d’une séance de signature dans une librairie, elle s’était présentée avec des crayons de couleur. Pour chaque lecteur, elle avait fait un dessin.

 

Parenthèses familiales

Dès ses débuts, la critique littéraire note chez Anna Gavalda une capacité à créer une proximité avec ceux qui la lisent. Elle sait raconter le quotidien. Les articles louent les qualités d’observation de cet écrivain qui passe beaucoup de temps à enquêter, à se documenter. L’une des clés souvent avancée pour expliquer son succès est sa capacité à donner corps à des personnages ordinaires. C’est aussi l’un des traits qui se dégagent de son nouveau roman. Dans La Consolante, dont elle a dessiné la couverture — les plans d’une maison miniature sur les pages déchirées d’un carnet à spirales — elle décrit les rapports humains, les réunions familiales. Elle interpelle le lecteur aussi : « Allez... Je vous épargne tout ça... Vous les connaissez par cœur, ces parenthèses chaleureuses et toujours un peu déprimantes que l’on appelle la famille ».

 

Vidéo : Interview d’Anna Gavalda

 

 

Pour le plaisir

Dès les premières pages de La Consolante, Anna Gavalda surprend. L’auteur d’Ensemble, c’est tout, paru en 2004 et qui remporta un succès immense, plonge son lecteur dans la grisaille. Le récit commence au début de l’hiver à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle: « Soleil laiteux, odeur de kérosène, fatigue immense ». La mélancolie habite une longue première partie du livre. Anna Gavalda se glisse dans la peau d’un homme, un architecte, Charles Balanda. Elle alterne la première et la troisième personne du singulier, selon l’humeur. Charles Balanda peine à trouver sa place dans la société, dans son couple, dans sa famille. Un homme dont soudain, la vie commence à se fissurer, alors qu’il apprend la mort d’une vieille femme : la mère d’un ami d’enfance, dont il s’est éloigné. Cette atmosphère, sombre, est inhabituelle chez Anna Gavalda. On est loin de l’amour, de la bonté, du bonheur simple, de tous ces thèmes que véhicule la seule évocation de son nom. Et qui furent les clefs d’une réussite exceptionnelle.

Charles Balanda se débat avec le quotidien, avec son passé aussi. Pendant plusieurs centaines de pages. Jusqu’à ce qu’enfin la grisaille se dissipe, jusqu’à ce qu’Anna Gavalda appelle «le bonheur». L’auteur renoue alors avec un registre qu’elle manie en experte. Et elle le fait, semble-t-il, avec délectation... pour le plaisir. Un plaisir qui semble la guider dans nombre de ses choix. Ainsi n’a-t-elle pas cédé aux sirènes des grands éditeurs de la place de Paris, restant fidèle au Dilettante et au côté artisanal de cette maison (les livres sont encore cousus et non collés). « Elle se fout un peu des prix littéraires, elle n’aime pas trop la publicité, le marketing », souligne Dominique Gauthier. « Le fait d’être discrète contribue à la bonne image que le public a d’elle », ajoute Emmanuel Delhomme. Et la recette semble fonctionner.

En 2009, Anna Gavalda décide de publier L’Échappée belle, un roman écrit à l’origine pour les adhérents de France Loisirs en 2001. Ce petit texte en forme d’escapade joyeuse a été retravaillé par son auteur afin d’en faire profiter le grand public. Dans ce court roman, les lecteurs retrouvent avec plaisir la plume légère et tendre d’Anna Gavalda, qui esquisse les liens d’une fratrie devenue adulte. Pour échapper à un mariage collet monté et éviter de « se cogner la famille. Tous ces oncles, ces vieilles tantes et ces cousins éloignés. (...) Leurs mines vaguement compatissantes ou vaguement consternées », Simon, Garance et Lola vont rejoindre leur petit frère Vincent, qui joue les châtelains à quelques kilomètres de la cérémonie. Le temps d’un court week-end, ces quatre ex-enfants, aujourd’hui trentenaires, retrouvent leur insouciance et la chaleur enveloppante de l’amour sans conditions. Même si Garance est instable, Simon malmené par sa femme, Vincent complètement loufoque et Lola juste malheureuse, tout le monde se serre les coudes, sans jugement, sans pitié. Et Gavalda de parvenir à ce qu’elle sait faire de mieux : par le biais de personnages marginaux à l’enfance en bandoulière, une joyeuse critique de notre société de consommation et des grincheux de tout poil. Ici, on ne se prend pas au sérieux, on a des fous rires le temps d’un pique-nique et l’on adopte les chiens errants. Un antidote à la grisaille ambiante.

La romancière n’aime pas qu’on lui parle du «phénomène Anna Gavalda». Un phénomène qui pourtant, livre après livre, ne cesse de se confirmer.

 

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Anna Gavalda vue par Dominique Gauthier, directeur des éditions du Dilettante

 

« Anna Gavalda, c’est mon premier succès en tant qu’éditeur. Quand nous avons publié son premier livre (Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part, en 1999, ndlr), j’ai reçu plusieurs coups de fil de libraires qui me disaient : “On est content que ça tombe sur vous.” Parce que nous sommes une petite maison d’édition. J’ai senti un courant de sympathie. Depuis, ce qui nous a beaucoup aidés à garder Anna Gavalda, c’est qu’à l’époque, nous avions été les seuls à accepter son recueil de nouvelles. Ce qui avait retenu mon attention, c’était sa capacité à faire passer le lecteur du rire aux larmes. Et aussi à se placer dans la peau des personnages et à les rendre crédibles. Elle sait aussi poser des situations avec une économie de moyens, un peu comme Simenon. Elle n’aime pas trop s’exposer dans les médias. Ce qu’elle aime, c’est quand les lecteurs s’emparent de ses personnages et les considèrent presque comme des êtres vivants ».

 

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