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Daniel Cohn-Bendit, l’agitateur

Daniel Cohn-Bendit[CC/msilvaonline]

«Il est interdit d’interdire» ; «Sous les pavés, la plage» ; «CRS, SS», etc. Autant de slogans qui rappellent à tous qu’en mai 1968, un vent de révolte a soufflé sur la France. Le mouvement de contestation débuté dans les universités qui déboucha sur une grève fit vaciller le général de Gaulle et la Ve République. A la tête des revendications se trouvait Daniel Cohn-Bendit.

 

Archives – Article publié le vendredi 21 mars 2008

 

« Mai 1968, c’est fini ! A jamais enfoui sous les tonnes de pavés historiques.» Ces mots sont de Daniel Cohn- Bendit. Ces quelques semaines de printemps pendant lesquelles la contestation, née le 22 mars dans une université de banlieue (Nanterre) avant de se propager au monde ouvrier, a fait trembler le général de Gaulle. Cette période a également vu émerger plusieurs leaders, dont le syndicaliste Alain Geismar ou le vice-président de l’Unef de l’époque, Jacques Sauvageot. Mais si une figure incarne à elle seule Mai 1968, c’est Daniel Cohn-Bendit.

Né le 4 avril 1945 à Montauban, il reste apatride près de dix-huit ans. Ce n’est qu’en 1963 qu’il opte pour la nationalité allemande après avoir passé ses années lycéennes outre-Rhin. Dans un établissement en quasi-autogestion, il est le leader du Parlement des élèves, faisant déjà étalage de ses talents oratoires.

En 1965, après avoir obtenu son baccalauréat, il est de retour en France, à la faculté de Nanterre pour suivre des études de sociologie. En mars 1968, les prémices d’une contestation se font sentir. Certains étudiants se mobilisent contre la guerre du Vietnam. C’est le cas de Xavier Langlade, membre des Jeunesses communistes révolutionnaires (JCR), interpellé après une manifestation parisienne. Ses camarades de Nanterre se mobilisent alors pour le soutenir. Des sit-in sont organisés dans la cour de la faculté, les étudiants se réunissent aussi dans les locaux de la direction. Le 8e étage des bâtiments administratifs de Nanterre est même occupé : le Mouvement du 22 mars est lancé.

Dès lors, Daniel Cohn-Bendit ne va pas cesser d’occuper l’espace médiatique. Henri Weber, l’un des fers de lance du mouvement étudiant, se souvient d’un leader qui «avait une verve, un sens de la provocation et du spectacle assez unique et qui a été le premier à comprendre le rôle des médias».

 

Daniel Cohn-Bendit, leader de la contestation étudiante de Mai 68 [Capture d'écran Youtube]

 

Le porte-parole de la jeunesse

La télévision étant cadenassée, c’est à la radio que les Français découvrent la voix de «Dany le rouge». Maurice Grimaud, préfet de police de Paris en 1968, le définit comme «un génie des formules percutantes». Cohn-Bendit dit lui-même s’être singularisé parce qu’il n’avait «pas cette langue de bois syndicaliste. Mais j’avais une capacité à anticiper ce que beaucoup pensaient. Même si je n’inventais pas grand-chose, au moment où je parlais, c’était le déclic», explique- t-il.

 En mai 1968, les sujets de conversation de la jeunesse tournent autour de l’évolution de la société gaullienne de l’après-guerre. Pour Alain Geismar «le gaullisme était à l’avant-garde politique, économique et internationale. Mais il avait oublié le social et la société». Alors que la vie s’était considérablement modernisée d’un point de vue matériel, les rapports sociaux restaient guidés par une morale jugée dépassée par la jeune génération. Jusqu’en 1965, les femmes devaient demander l’autorisation à leur mari pour ouvrir un compte en banque.

 

« Liberté sexuelle … pour tous ! »

En mai 1968, un autre interdit mobilise toute une génération d’étudiants. Agés pour la plupart d’une vingtaine d’années, ceux-ci accordent une importance toute particulière à la liberté sexuelle, réduite dans l’enceinte du campus de Nanterre. Les filles pouvaient ainsi se rendre dans le dortoir des garçons, alors que la réciproque était interdite.

Alain Geismar rapporte qu’à l’époque Daniel Cohn-Bendit juge sévèrement ces interdits. Quand, le 8 janvier 1968, le ministre de la Jeunesse et des Sports, François Missoffe, vient inaugurer la nouvelle piscine de l’université de Nanterre, le jeune leader révolutionnaire assimile cela à «une méthode hitlérienne. (...) Plutôt qu’entraîner la jeunesse vers le sport pour les détourner des problèmes réels, il fallait avant tout assurer l’équilibre sexuel de l’étudiant».

Même Charles Pasqua, proche du pouvoir gaulliste, reconnaît aujourd’hui le besoin d’une liberté accrue dans les universités. Celles-ci étaient, selon Alain Geismar «dans un état de déliquescence sans comparaison avec aujourd’hui. Par exemple, à la Sorbonne, l’anglais était enseigné comme une langue morte». Pour décrire cette situation, Henri Weber compare «la France à une Cocotte- Minute au couvercle vissé, que le mouvement a fait sauter».

 

Vidéo : Daniel Cohn-Bendit, 45 ans de politique déchaînée. 

 

 

Les facs deviennent des ruches

Quand le 2 mai 1968, Pierre Grappin, le doyen de la faculté de Nanterre, ordonne sa fermeture, les étudiants prennent la direction du Quartier latin. La Sorbonne est occupée. On voit alors fleurir sur les murs des centaines de slogans bien connus, dont la plupart sont des reprises de ceux des mouvements ouvriers de 1967. «Tant qu’il n’y avait que la “Commune étudiante”, nous maîtrisions les événements», confie Henri Weber.

 Tous les soirs, les représentants des groupuscules se réunissaient rue d’Ulm pour décider du programme du lendemain. Les universités devenaient de véritables «ruches», où les étudiants débattaient de tout. Dans la nuit du 10 au 11 mai, des affrontements dans le Quartier latin font des centaines de blessés, alors que des barricades sont construites.

 Une fois encore, Daniel Cohn-Bendit est aux avant-postes. Ce qui va lui coûter une interdiction de territoire. Dany le rouge se réfugie alors au siège du Snesup, le Syndicat national de l’enseignement supérieur. C’est là qu’Alain Geismar l’a beaucoup côtoyé. Pour celui qui était alors président du syndicat d’enseignants, il «était LA figure de la contestation à laquelle on pouvait facilement s’identifier».

Finalement expulsé, c’est d’Allemagne que le leader étudiant va suivre la suite des événements ; les accords de Grenelle du 27 mai, le voyage du général de Gaulle à Baden- Baden (Allemagne) le 29 mai ou encore la dissolution de l’Assemblée nationale le lendemain. Daniel Cohn-Bendit va rester plusieurs années outre-Rhin. «Cette expulsion m’a sauvé la vie. J’ai disparu, l’autre Dany a dû se refaire pendant quelques années pour ne plus vivre sur le mythe du révolutionnaire », avoue-t-il aujourd’hui.

 

Vidéo : Cohn-Bendit « L’esprit de 68, c’est moi »

 

 

Quand « Dany le rouge » passe au vert

Pendant ce temps, il s’occupe notamment d’un jardin d’enfants. En 1981, il fait son retour sur la scène politique, rompant avec les thèses anarchistes. En 1984, il intègre Die Grünen, le parti des Verts allemands, pour se lancer à la conquête des urnes : conseil municipal de Francfort puis mandats européens.

En 1994, il est élu au Parlement de Strasbourg sur une liste allemande, avant d’être tête de liste en France pour les élections de 1999. Réélu, il devient porte-parole du groupe écologiste en 2002. En 2004, il s’engage à nouveau pour Die Grünen avec un troisième mandat à la clé.

Comme de nombreux révolutionnaires de l’époque, Daniel Cohn-Bendit s’est progressivement éloigné de l’extrême gauche. Henri Weber, député européen socialiste, tente une explication : «On a compris qu’on ne peut pas transformer la société par des moyens violents, donc nous avons fait la route qui mène de la révolution à la réforme. Pour autant, nous avons gardé nos idées d’une société du bien-vivre

Daniel Cohn-Bendit apporte un regard amusé sur ses attitudes pendant ces semaines : «Quand je me vois à l’époque, c’est à mourir de rire, il y avait une telle contradiction entre le sens de la révolte et le langage qui l’exprime.» Mais il reconnaît que la société a changé. Il admet même qu’«il ne reste plus rien de Mai 1968 !» Plus rien sauf des témoignages, qui se multiplient ces temps-ci comme jamais.

 

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