En direct
A suivre

Prix Nobel : petits secrets d’une grande récompense

Alfred Nobel, créateur du Prix Nobel[CC/Solis Invicti]

Depuis 1901, c’est «le» rituel du mois d’octobre. Chaque année, le monde entier a les yeux rivés sur les noms des prochains lauréats du prix Nobel. Ils récompensent les personnalités qui marquent l’histoire de l’humanité et leur permet de se partager dix millions de couronnes suédoises.

 

(ARCHIVES)

 

Son nom est mondialement connu, mais son parcours reste pourtant assez mytérieux pour le grand public. Alfred Nobel naît à Stockholm en 1833, d’un père architecte, inventeur et aventurier et d’une mère fortunée. Il grandit en Suède, et voyage en Europe et aux Etats-Unis avant de s’installer en France. A Paris, il travaille dans un laboratoire de chimie, où il fera la rencontre de l’Italien Ascanio Sobrero, l’inventeur de la nitroglycérine.

Dès 1862, Alfred Nobel débute ses expérimentations sur ce composé explosif, pour lequel il développe un grand intérêt. Deux ans plus tard, son frère, qui manipulait cette substance, est tué dans une explosion à Stockholm. Cet accident ne décourage pas Alfred Nobel, qui cherche à rendre sûre la nitroglycérine et à assurer sa commercialisation. Il finit par inventer la dynamite puis la poudre à canon sans fumée, et devient milliardaire. Après avoir passé de longues années à Paris, Alfred Nobel passe la fin de sa vie à San Remo, en Italie. Il meurt en 1896 d’un accident vasculaire cérébral.

Entrepreneur et scientifique, Alfred Nobel est aussi un passionné de littérature et de poésie. Bien qu’il ait fondé sa fortune sur les explosifs, Alfred Nobel est un pacifiste. N’ayant pas d’enfants à qui léguer sa fortune, Alfred Nobel cède dans son testament son riche capital à deux jeunes gens, chargés de créer la Fondation Nobel qui récompensera des hommes et des femmes qui ont, par leur génie, permis un progrès considérable dans cinq domaines : la médecine, la physique, la chimie, la littérature et la paix. Alfred Nobel lègue toute sa fortune (32 millions de couronnes suédoises) pour financer sa dernière volonté. Depuis, 856 récompenses ont été remises, soit à des femmes (44), soit à des hommes (788), soit à des organisations (24).

 

Alfred Nobel [CC/BlatantWorld.com]

 

La liste des nommés – établie en général par les anciens récipiendaires – est gardée secrète pendant cinquante ans. C’est ainsi que l’ouverture de ces archives ultraprotégées révèle qu’Albert Schweitzer (prix Nobel de la paix en 1952) avait été proposé 29 fois avant de recevoir sa récompense ! Un épisode parmi d’autres dans l’histoire des prix Nobel qui est jalonnée d’anecdotes plus étonnantes les unes que les autres.

C’est juste après la mort d’Alfred Nobel que les institutions chargées de désigner les candidats et d’attribuer les prix ont créé la fondation Nobel. Depuis, elle gère les fonds légués par le mécène mais se charge aussi d’organiser la cérémonie annuelle. Le montant gagné par le prix Nobel varie en fonction de l’inflation de la couronne suédoise. Le capital de la fondation est estimé à trois milliards de couronnes (316 millions d’euros), soit le double de ce qui avait été légué.

 

Reflet des rapports de force de l’ère moderne

Quand Alfred Nobel a l’idée de sa fondation, devant honorer les hommes et femmes «ayant apporté le plus grand bénéfice à l’humanité», il a aussi ce trait de génie d’adjoindre aux récompenses scientifiques et littéraires le prix Nobel de la paix, qui en deviendra l’étendard.

Malgré sa prétention à l’objectivité, le prix Nobel reflète évidemment les rapports de force de l’ère moderne.  Bien entendu, les pays occidentaux dominent tout au long du siècle dernier, puisqu’ils possédaient une avance scientifique inégalée.

A ce titre, les Etats- Unis, sous-représentés dans les premières années du XXe siècle, qui voient plutôt la domination germanique étendre ses ailes, prennent dès la fin de la Première Guerre mondiale la tête du classement.  Le Royaume-Uni, qui possède un instrument merveilleux au service de la science avec les universités de Cambridge et d’Oxford, fait aussi très bonne figure dans ce concours des nations. La Russie, surtout au temps de la compétition de l’URSS avec le bloc occidental, en compte de très nombreux.

 

Le Nobel Peace Center à Oslo [CC/rafaj]

 

Faits et anecdotes

Parmi les faits marquants de l’histoire du prix Nobel, on note que seulement deux lauréats ont refusé leur prix. Il s’agit de Jean-Paul Sartre, prix Nobel de littérature en 1964, et du vietnamien Lê Duc Tho, prix Nobel de la paix en 1973 avec Henry Kissinger pour les accords américano- vietnamiens, en 1968. S’ils ont, eux, refusé leur Nobel, ce ne fut pas le cas de Richard Kuhn, prix Nobel de chimie en 1938 et Gerhard Domagk, prix Nobel de médecine en 1939, contraints de décliner leur prix sur ordre d’Hitler. Les prix leur furent tout de même décernés après la chute du IIIe Reich.

Au-delà de ces coups d’éclat, il arrive aussi que le prix Nobel soit une histoire de famille. Ainsi, William Henry Bragg et son fils William Lawrence Bragg ont tous deux été récompensés par le prix Nobel de physique en 1915. Idem pour Niels Bohr (prix de physique en 1922), discipline dans laquelle lui a succédé son fils, Aage Niels Bohr en 1975. Le prix peut également se gagner en couple. Pour les Français, le plus célèbre reste Pierre et Marie Curie, prix Nobel de physique en 1903. Mais il ne faudrait pas omettre dans cette rubrique matrimoniale le cas de Carl Ferdinand et Gerty Theresa Cori, récompensés pour leurs travaux par un prix Nobel de médecine, en 1947.

 

Ils ne l’ont pas eu …

Même s’ils représentent l’une des plus hautes distinctions au monde, les prix Nobel ont souvent été critiqués. On leur reproche d’avoir oublié dans leur palmarès des personnalités notables dont les contributions ont permis l’amélioration des droits de l’homme. Le mahatma Gandhi, par exemple, a été nominé en 1937, 1938, 1939, 1947 et enfin en 1948, quelques jours avant son assassinat. Le prix Nobel ne s’attribuant pas à titre posthume, la Fondation Nobel a décidé de ne pas choisir de personnalité cette année-là.

Douglas Prasher est aujourd’hui chauffeur pour 10 dollars de l’heure à Huntsville (Alabama). Pourtant, ce scientifique aurait dû figurer parmi les lauréats du Nobel de chimie 2008 : il a en effet isolé la protéine fluorescente verte d’une méduse qui permettra demain de fabriquer des médicaments pour lutter contre le VIH et la maladie d’Alzheimer. Trois de ses collègues, Osamu Shimomura, Martin Chalfie et Roger Tsien, qui avaient poursuivi les recherches qu’il avait dû arrêter faute de moyens financiers, ont reçu le prix Nobel de chimie en 2008…

En 2008, l’attribution du prix Nobel de médecine aux chercheurs français Françoise Barré-Sinoussi et Luc Montagnier pour la découverte du virus du sida en 1983 suscite l’incompréhension. Comme les mousquetaires, les découvreurs étaient trois à l’époque. Où est donc passé Jean-Claude Chermann ? Juste oublié, dit-on. Cruels décrets d’une Académie qui ne se justifie jamais.

A contrario, beaucoup de personnalités ont été récompensées alors que leurs efforts diplomatiques ont été jugés inefficaces. On notera par exemple celui de Mohamed El Baradei, le directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique, qui n’avait pu dissuader les Etats-Unis d’entrer en guerre contre l’Irak, ou l’ancien secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan.

 

Médaille du Prix Nobel [CC/Fifth World Art]

 

Les oubliés

En 1968, la Banque de Suède décide d’inscrire l’économie au rang des disciplines à récompenser au même titre que les cinq autres disciplines choisies par Alfred Nobel. Cette récompense, appelée «Nobel » d’économie», est décernée par l’Académie royale des sciences de Suède, tout comme les autres matières.

Les autres absents des catégories «nobélisables» sont les mathématiques. Depuis 1936, cette discipline est récompensée tous les quatre ans par la Médaille Fields et, depuis 2003, par son équivalent, le prix Abel, du nom du célèbre mathématicien norvégien Niels Henrik Abel. Mais la légende raconte qu’Alfred Nobel a volontairement mis de côté les mathématiques au panthéon des disciplines. Il souhaitait éviter que le mathématicien Gösta Mittag Leffler, qui avait obtenu les faveurs d’une femme dont Alfred Nobel était épris, soit un jour récompensé pour ses travaux...

Vénérable institution, le prix Nobel est donc resté fidèle envers et contre tout à l’esprit d’Alfred Nobel. Et si, comme toutes les institutions, il a ses côtés obscurs ou cocasses, il demeure néanmoins un puissant moteur de la recherche et des sciences, jouant par là même un rôle substantiel dans l’extension du savoir humain.

 

58 récompenses en bleu blanc rouge

La France est un pays important dans l’histoire des prix Nobel.  La France s’est illustrée par vagues: le début du XXe siècle est faste, les années 1970, 1990 et 2000 aussi. Enfin, notre pays a cette petite gloire de compter le plus de prix Nobel de littérature de l’histoire, quatorze aujourd’hui. Le premier, en 1901, ayant été attribué à Sully Prudhomme et le dernier en date, en 2008, à J.M.G. Le Clézio.

Parmi les récipiendaires tricolores les plus connus : Aristide Briand, prix Nobel de la paix en 1926 pour les accords de Locarno ; André Gide, prix Nobel de littérature en 1947 ; Albert Camus, dix ans plus tard dans la même catégorie.

En 1968, René Cassin, président de la Cour européenne des droits de l’homme et artisan majeur de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, a reçu le prix Nobel de la paix, ainsi que Médecins sans frontières en 1999. Les derniers Français distingués sont J.M.G. Le Clézio, Prix Nobel de littérature 2008, Jules Hoffmann, Prix Nobel de médecine, et Serge Haroche, Prix Nobel de physique en 2012.

La France a aussi l’originalité d’avoir compté parmi ses ressortissants l’un des deux seuls élus à avoir refusé le prix: Jean-Paul Sartre (« Aucun homme ne mérite d’être consacré de son vivant »), qui refuse celui de littérature en 1964.

Dans le cabinet des curiosités, on voit aussi Marie Curie, qui le reçoit deux fois, en chimie et en physique, dont l’un avec son mari Pierre. Sa fille et son gendre seront aussi honorés en 1935 pour leurs découvertes en chimie.

 

Diplôme du Pris Nobel de Littérature de Rudyard Kipling [CC/ahisgett]

 

Les « Ig nobel »

Comme beaucoup de cérémonies, les prix Nobel sont aussi brocardés. Les Ig Nobel sont remis depuis 1991 par l’université de Harvard, soutenue par la revue d’humour en science Annals of Improbable Research. Les Ig Nobel (dont le nom se prononce «ignoble» en anglais) mettent en avant des aberrations scientifiques, littéraires, éducatives et les plus grandes absurdités de la planète. Pour la communauté scientifique, c’est aussi l’occasion de régler des comptes.

C’est ainsi que Jacques Benveniste a obtenu l’Ig Nobel de chimie en 1991 pour ses travaux sur la mémoire de l’eau visant à établir que l’eau est un liquide intelligent capable de «retenir» les événements, et notamment la forme des objets qui y ont été plongés.

 En 1993, la compagnie Pepsi-Cola Philippines a reçu l’Ig Nobel de la Paix pour l’organisation d’un concours avec un million de pesos philippins à gagner. Après qu’elle a annoncé un faux numéro gagnant, 800 000 candidats s’estimant vainqueurs ont manifesté, provoquant l’intervention de l’armée pour la première fois dans l’histoire du pays.

L’année suivante, l’Eglise baptiste sudiste d’Alabama a reçu l’Ig Nobel de mathématiques pour ses estimations, comté par comté, du nombre de citoyens de cet Etat destinés à l’Enfer en l’absence de repentir.

La France n’est pas en reste : Jacques Chirac a été récompensé par un Ig Nobel de la paix (en 1996) pour avoir laissé coïncider les commémorations du 50e anniversaire des bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki avec les deux derniers essais nucléaires français dans le Pacifique.

 

Symbole du triomphe du travail et de l’inventivité

Les prix Nobel, imposés très tôt comme la distinction la plus prestigieuse à cause de leur sélection mondiale, de leur dotation financière et du goût certain des académies qui les remettent, ont changé la face du monde. Parce que d’une part, les savants, écrivains et hommes politiques qui les ont reçus ont presque toujours été distingués à l’aide de critères objectifs, ce qui rétablissait une certaine égalité des nations devant le génie; d’autre part, parce que la neutralité de la Suède garantissait que les prix seraient répartis au-delà des pressions politiques ou idéologiques.

Ainsi, le prix Nobel aura figuré, tout au long d’un XXe siècle pourtant ravagé par la mauvaise foi idéologique et les affrontements sans merci, comme le symbole incontesté et incorruptible du couronnement du travail et de l’inventivité.

 

À quoi sert le Prix Nobel ?

Pour décrocher le Nobel, mangez du chocolat

Le Nobel de l’UE ne fait l’unanimité

 

À suivre aussi

Ailleurs sur le web

Dernières actualités