Reconnue "seule propriétaire" d'un tableau de Paul Signac revendiqué par une héritière du peintre, la ville de Montreuil (Seine-Saint-Denis) va pouvoir continuer d'exposer en mairie cette toile monumentale que la famille de l'artiste voulait voir rejoindre le musée d'Orsay.
Après huit mois de bataille judiciaire, la maire de Montreuil Dominique Voynet (EELV) ne cachait pas son "soulagement" mardi et son "profond bonheur": la mairie de Montreuil est "seule propriétaire de l'oeuvre de Paul Signac dénommée Au temps de l'harmonie (l'âge d'or n'est pas dans le passé, il est dans l'avenir)", a tranché le Tribunal de Grande Instance de Paris (TGI).
Peinte entre 1893 et 1895, cette toile de 4 mètres sur 3, allégorie champêtre d'une société idéale, pourra continuer d'orner l'escalier d'honneur de la mairie de Montreuil où elle a été placée en 1938.
L'arrière-petite-fille de Paul Signac (1863-1935), Charlotte Liebert-Hellman, qui contestait à la ville la propriété de l'oeuvre, ne compte cependant pas en rester là, selon son avocat. Me Olivier Baratelli entend faire appel d'une décision "allant à l'encontre de la visibilité de l'oeuvre". Sollicité par l'AFP, l'avocat voit dans le maintien de la toile à Montreuil "un non-sens politique et un délit culturel".
Montreuil ou Orsay ? C'est la question qui se posait en arrière-plan du débat sur la propriété du tableau. A l'été 2012, Mme Liebert-Hellman, fille de Françoise Cachin, ancienne directrice du Musée d'Orsay décédée en 2011, avait lancé une assignation en référé, puis une procédure au fond pour le faire transférer dans cette institution, estimant que sa sauvegarde n'était pas garantie à la mairie.
Quelques mois plus tôt, la toile avait été vandalisée par des projectiles et des boulettes de papier humides avant d'être restaurée.
Alors que la municipalité défendait qu'il s'agissait d'un don de Berthe Signac, veuve du peintre, en cohérence avec les aspirations politiques et sociales de ce dernier, son héritière affirmait que le tableau n'a été placé là qu'en dépôt puisqu'aucune déclaration auprès des services fiscaux, obligatoire depuis 1930, n'attestait de ce don.
"Don manuel"
L'analyse du tribunal est différente: il valide la défense de la ville de Montreuil selon laquelle la toile a fait l'objet d'un "don manuel", pratique autorisée consistant à remettre un bien de la main à la main, sans acte notarié. Selon Me Marie Delion, avocate de la municipalité, 30% des oeuvres qui rentrent dans les musées français le sont par simple don manuel.
"Il n'est pas contesté que depuis le 6 mars 1938, date de la remise en grande pompe par Berthe Signac, la mairie de Montreuil agit comme propriétaire de l'oeuvre", relèvent les motifs de la décision soulignant également que tant le ministère de la Culture, les musées emprunteurs que Françoise Cachin elle-même ont toujours traité Montreuil en qualité de propriétaire.
Le tribunal ordonne par ailleurs la publication du jugement dans Le Monde, Libération et le Journal des Arts, qui s'étaient largement fait écho de la polémique.
"Il n'est pas interdit de penser que le musée d'Orsay et la mairie de Montreuil pourront trouver des accords pour présenter l'oeuvre", écrit encore le tribunal cité par Me Delion.
"Aujourd'hui, la toile est protégée de la lumière, des UV, du contact humain par un volet qui peut être levé sur demande pour la contempler et ce n'est pas demain la veille qu'on va nous l'enlever", conclut Mme Voynet, là où Me Baratelli dénonçait le "parcours du combattant" pour voir le tableau, sur rendez-vous.