Réunir la crème du "street art" dans la plus grande usine de fonte et d'acier d'Europe, inscrite au patrimoine de l'humanité : c'est le pari de la première "Urban art Biennale" au Völklinger Hütte, près de Sarrebrück, en Allemagne.
Né des graffitis apparus à la fin des années 60 sur les métros de New-York, l'art urbain ne se cantonne plus aujourd'hui à quelques coups de bombes de peinture : il s'est stylisé, "abstraitisé", sorti de la rue pour entrer dans les musées, il est passé des murs à la toile.
L'ancienne usine sidérurgique de Völklingen, à quelques kilomètres derrière la frontière française, a pour les graffeurs et autres +street artistes+ "quelque chose de fascinant, c'est comme si on nous replongeait dans notre milieu naturel", selon Reso, l'une des stars de l'exposition.
Reso, alias Patrick Jungfleisch, traîne ses baskets siglées sur les trottoirs de Sarrebrück, New-York ou Paris à la recherche des meilleurs "spots". Selon lui, "on ne fait pas la même chose sur un mur et sur une toile. Chaque oeuvre s'inscrit dans un contexte : celui de la rue n'est pas le même que le cadre neutre d'une salle d'exposition".
Ici, ni mur blanc, ni éclairage sophistiqué : le cadre brut de l'ancienne salle des mélanges de ce joyau technologique de l'ère industrielle accueille une cinquantaine de toiles de 36 artistes de la scène internationale - parmi lesquels Cope2, JonOne, Invader, Phase2 ou encore Seen-.
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"Certaines oeuvres se vendent aujourd'hui 100.000 euros, voire plus s'il s'agit de stars comme Banksy", souligne Amin Leidinger, chargé de communication au Völklinger Hütte.
Les 12.000 tonnes de minerais servant à nourrir les six hauts-fourneaux de l'usine ont laissé place dans les silos de stockage à une mine d'oeuvres d'art réparties sur 10.000 m2 d'exposition.
Premier site industriel répertorié par l'Unesco
Seul monument de l'ère industrielle entièrement conservé, l'usine sidérurgique de Völklingen, terrassée en 1986 par la crise de l'acier, a été en 1994 le premier monument industriel a entrer au patrimoine mondial, au même titre que la pyramide de Kheops, l'Acropole d'Athènes ou la Muraille de Chine.
"Cette décision a été vivement critiquée. Ils étaient nombreux à penser que cette usine n'était qu'un tas de ferraille", explique le directeur du Centre européen d'art et de culture industrielle, Meinrad Maria Grewenig.
"L'industrie représente un pan entier de notre culture et ce site mérite sa place dans notre patrimoine, même si cela a représenté un véritable défi de faire, d'un lieu de travail, un lieu de culture", ajoute-t-il.
A son apogée l'usine, qui produisait jusqu'à 6.500 tonnes de fonte par jour, employait 17.000 personnes.
"Jusqu'au début des années 80, c'était incroyable : la ville de Völklingen ne dormait jamais, les ouvriers faisaient les trois huit, la rue était toujours en mouvement", se souvient Reso, originaire de la région.
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"Les cheminées recrachaient environ 30 tonnes de poussière par jour. Toute la ville de Völklingen était recouverte d'une pellicule rouge. Les femmes lavaient le linge en fonction de la météo et du sens du vent", explique le guide, Romain Dal-Ferro.
En dix ans, la Völklinger Hütte est devenu premier le site le plus visité de la région. Elle accueille ces dernières années entre 300.000 et 450.000 visiteurs par an.
Sur les 600 ha du site, 60 ha sont inscrits au patrimoine culturel mondial, dont 6 ha ouverts au public. L'Urban Art Biennale sera visible jusqu'au 1er novembre 2013.