Après le succès de "L'Amant", qui fait d'elle un auteur mondialement célèbre, Marguerite Duras se confie en toute liberté à une journaliste italienne: ce mythique entretien, qui permettra de réentendre cette voix unique, n'avait été publié qu'une seule fois, en 1989 en Italie, puis avait disparu.
Exhumé par son traducteur, René de Ceccaty, au terme d'une difficile enquête, cet ouvrage inédit en France, "Marguerite Duras. La passion suspendue" (Editions du Seuil), tranche par sa pensée très structurée avec beaucoup des entretiens accordés par Duras.
Dans ce texte recueilli par Leopoldina Pallotta della Torre, pas trop de "parler durassien", aux multiples dérobades, qui pourraient perdre journaliste et lecteurs, mais des confidences au ton souvent très libre sur sa vie, son œuvre, la longue obscurité et la gloire foudroyante, la politique, le désir et la passion.
"Pendant deux ans, de 1987 à 1989, j'ai fait des aller-retours entre Paris et Milan pour rencontrer, chez elle, rue Saint-Benoît, Marguerite Duras. C'était devenu une obsession pour moi ! Je venais de lire +L'Amant+ et je me suis dit je dois connaître cette femme. Je me suis procuré toute son œuvre", raconte à l'AFP Leopoldina, alors jeune journaliste à la Republicca et qui collaborait à La Stampa.
Aucun éditeur français ne s'était intéressé à l'ouvrage à l'époque, "par chauvinisme", estime-t-elle. "Il a été oublié... même par moi".
"Au début de nos rencontres, c'était très difficile, elle ne me facilitait pas la tâche. Elle était rodée pour les interviews, c'était devenu une routine et elle en était lassée".
Mais "moi non plus, je ne voulais pas faire un énième livre de bavardages avec la grande Marguerite. Je ne voulais pas faire une interview de Marguerite Duras, mais que ce soit un dialogue complice entre deux femmes", confie-t-elle.
C'est pourquoi "j'ai assez vite arrêté de prendre des notes. Je voulais lui donner l'illusion d'être libre, avec une autre personne, et pas une journaliste. Puis je retranscrivais tout de mémoire chez moi. Un énorme travail", poursuit-elle.
Complices
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Un jour, Leopoldina raconte à Duras une aventure désagréable qui lui est arrivée: comment un homme très inquiétant l'a suivie dans la nuit.
"Elle a peut-être aimé mon histoire, la façon dont je la racontais. En tous cas, à partir de ce moment-là, je suis rentrée dans son univers romanesque. Et nos rapports sont devenus plus complices. J'étais assez +durassienne+ dans ma jeunesse", dit-t-elle en souriant.
Deux ou trois ans après la sortie de ce livre, "j'étais dramaturge et vivais à Berlin quand je suis tombée amoureuse d'un homosexuel d'une grande famille allemande. Je ne pouvais en parler à personne. J'ai alors appelé Marguerite et on a parlé presque une heure au téléphone."
"Elle m'a dit, soit tu arrêtes, soit tu rentres dans cette histoire complètement. L'amour reste la seule chose qui compte vraiment. Il est stupide de le circonscrire à des histoires entre hommes et femmes. L'homosexualité est comme la mort, l'unique domaine exclusif de Dieu".
Avec Marguerite, "nous lisions ensemble, nous plaisantions, je lui faisais aussi lire mon texte. Et si elle lançait des mots, cultivait ses silences, elle était aussi très précise quand elle parlait de son œuvre et de sa vie, de ses souvenirs d'enfance ou de femme", souligne Leopoldina Pallotta qui écrit en ce moment un ouvrage entre littérature et journalisme.
("Marguerite Duras. La passion suspendue" - entretiens avec Leopoldina Pallotta della Torre - Seuil - 190 p. - 17 euros)