Avec L’Odyssée de Pi, Ang Lee porte à l’écran le best-seller réputé inadaptable de Yann Martel vendu à plus de 7 millions d’exemplaires dans le monde. Quatre ans de travail ont été nécessaires au réalisateur de Brokeback Mountain et de Tigre et Dragon pour rendre la magie de ce voyage visuel et philosophique qui combine prises de vue réelles et image de synthèse avec une maestria sans précédent.
Connaissiez-vous le livre de Yann Martel avant d’être approché pour le projet d’adaptation ?
J’ai connu le livre peu de temps après sa sortie en librairie. Un de mes amis me l’a donné et je l’ai trouvé époustouflant. Ce personnage qui se bat pour survivre est fascinant. Je l’ai recommandé à ma femme et mes enfants pour qu’ils le lisent. Il y a à peu près cinq ans, la Fox m’a contacté mais je n’étais pas disponible parce que j’avais plusieurs autres projets de films en cours. Je leur ai demandé s’ils voulaient attendre que je sois libre. Huit mois plus tard, on s’est mis au travail. Ca m’a pris quatre ans à partir de ce moment pour finir le film.
Jean-Pierre Jeunet a travaillé un temps sur cette adaptation également ?
C’était juste avant que la Fox ne fasse appel à moi. Mais la façon dont il voulait faire le film ne correspondait pas à leur manière de pensée. Leurs visions étaient trop différentes. Malheureusement pour lui.
Quand on regarde le film, on se demande ce qui relève de la prise de vue réelle et de l’image de synthèse…
Je pense que la meilleure façon de fonctionner pour ce genre de films est de mélanger ces deux éléments. Il faut faire fusionner le réel et l’image de synthèse. Le bateau, le personnage de Pi, certains objets, le radeau en contact avec l’eau sont réels. Bien sûr, beaucoup d’éléments sont modifiés en post-production. Mais j’essaie toujours de montrer que certaines choses sont réelles.
Quel a été le plus gros défi sur ce film, le travail sur le tigre ou celui sur l’eau ?
Le travail sur l’eau. Pour le tigre, c’est un travail long et méticuleux mais on possède des modèles. On avait beaucoup de prises de vue réelles avec des tigres donc les animateurs avaient des références sur lesquelles travailler. En revanche, il fallait entièrement créer l'eau. L’eau est un élément très difficile à imiter. La science et l’informatique nous aident mais on n’arrive que difficilement à un résultat réaliste. Le réservoir d’eau était une bonne solution. Mais c’est aussi très compliqué de tourner sur des litres d’eau. Le matériel bougeait sans cesse. Il fallait faire attention à ce que personne ne se blesse, il fallait être très attentif au budget et au planning de tournage. Tous les aspects pratiques concernant cette partie du film ont été épuisants. Cinématographiquement, je crois que le plus difficile pour un réalisateur, c’est de continuer à retenir l’attention du spectateur, ne pas le laisser déconnecter du film à cause des images de synthèse. Et on doit compenser cela par du travail et de l’ingéniosité.
Est-ce un film religieux ?
C’est un film qui parle de dieu et non de religion. Quand Pi se retrouve seul en mer, il fait face à dieu, à sa relation avec dieu. Cette solitude est ce qui va mettre sa foi à l’épreuve. Le sujet du film est la connexion avec l’inconnu.
Vous-même, êtes-vous une personne croyante ?
J’ai été élevé dans la religion chrétienne par ma mère. J’allais à l’église tous les week-ends. Je priais quatre fois par jour. Mais quand j’ai eu 14 ans, j’ai commencé à m’interroger sur la religion et j’ai arrêté de croire. Et depuis il ne m’est rien arrivé. (rires) Le bouddhisme et le taoïsme du continent asiatique où j’ai grandi m’ont également influencé. Je crois qu’avoir la foi est autre chose. Souvent je fais cette plaisanterie que je prie les dieux du cinéma.
Pour le casting, vous avez vu plus de 3000 garçons. Pourquoi Suraj Sharma a-t-il été le bon ?
A chaque essai, il s’en sortait plutôt bien. Mais il portait tout le temps ces drôles de lunettes. A un des essais à Bombay, il a retiré ses lunettes et là, j’ai vu Pi. C’était un sentiment étrange. Quand je l’ai vu cette fois-là, j’ai vu le film. J’ai vu son potentiel. C’est un garçon intelligent, irrésistible. Je me suis dit qu’il pourrait émouvoir l’audience, alors j’ai testé son jeu. Et il a été incroyable. Ca m’a encouragé et je me suis dit qu’on pourrait définitivement faire le film.
Quelle a été sa réaction quand il a vu le film ?
Il était submergé par l’émotion. D’abord de se voir à l’écran, puis de voir le film. Ce n’est qu’après avoir vu le film pour la 3è fois qu’il a commencé à voir le film en tant que spectateur normal. Ca lui a donné envie de faire des films, mais plutôt du côté de la réalisation.
Selon vous, quel est votre meilleur film ?
Aucune idée. Je considère mes films comme mes enfants. Je travaille autant pour chacun d’eux. Je ne me sens pas autorisée à en choisir un plus qu’un autre. Mais peut-être que comme celui-ci a été le plus difficile à mener, est-ce celui dont je suis le plus fier.
Sur le film Hulk, vous n’aviez pas eu le final cut. Pour L’Odyssée de Pi, l’avez-vous eu ?
Oui, mais cela n’a pas été sans lutte. Je comprends l’anxiété des studios de dépenser autant d’argent. Personne ne veut perdre une telle somme. Pour sécuriser la sortie, les studios doivent faire beaucoup de publicités, de promotions… Il faut aller chercher l’audience. Et L’Histoire de Pi est un livre philosophique. Ce qui complique les choses. J’ai écouté leurs conseils pour comprendre comment atteindre le plus grand nombre de spectateurs, comment un blockbuster doit fonctionner... Parfois, j’ai ajusté ma vision, mais parfois je défendais mon point de vue. Et finalement, ils m’ont laissé faire mon film.
C’est votre premier film en 3D. Qu’en avez-vous pensé ?
Je pense que la 3D est un savoir-faire à part entière. C’est un nouveau langage qui utilise la profondeur. Les films sont appelés à évoluer avec la 3D. Et chaque nouveau film en 3D nous en fait découvrir ses potentialités. L’Odyssée de Pi est un pont dans ce domaine. J’ai trouvé cette expérience intéressante et je la réitérerai si un prochain budget me le permet. Mais je ne le ferai pas pour un film à petit budget. Cela ne rendrait rien.
Pourquoi avoir choisi Gérard Depardieu pour jouer le cuisinier français ?
J’avais besoin d’une icône. Je rêvais de l’avoir pour ces scènes et je suis venu en France pour le rencontrer. Il m’a simplement dit qu’il trouvait le projet intéressant, qu’il n’avait rien à prouver et qu’il acceptait. Il est venu à Taïwan une semaine. Il avait des scènes très compliquées.
La campagne pour les Oscars a débutée. Que faites-vous pour promouvoir le film ?
Ma position est celle de meneur de groupe. Je dois supporter le film, je ne peux pas me permettre d’être cynique à ce propos. C’est du travail. Presque 4 mois de promotion jusqu’au jour décisif. Mais ce sont les studios qui gèrent la campagne. Ils me disent où je dois me rendre et je fais mon travail. Le côté agréable, c’est qu’on rencontre beaucoup de bonnes volontés, des gens qui ont aimé le film. On se fait plein d’amis. Mais parce que ça reste une compétition, il existe quand même une dimension négative à l’exercice. Il y a beaucoup de critiques. Personnellement, je préfère faire abstraction de cet aspect.
Vous avez passé 4 ans à faire ce film, qu’avez-vous prévu de faire par la suite ?
Je ne sais pas. Pour l’instant je lis les choses qu’on m’envoie. Je voudrais faire une pause si je le peux.