De la Résistance aux mouvements anti-colonialistes, l'ex-faussaire Adolfo Kaminsky a été, dans la clandestinité, le pourvoyeur de faux papiers de toutes les luttes du XXe siècle mais c'est au grand jour qu'il expose désormais une oeuvre photographique longtemps restée secrète.
"Je devais rester dans l'ombre, je ne pouvais pas les montrer, maintenant je n'ai plus besoin de me cacher." Assis dans son appartement parisien, Kaminsky, 87 ans, fait glisser son regard sur des tirages de quelques-unes des 100 photos exposées jusqu'en février à Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne).
Condamné à des décennies de clandestinité forcée, le vieil homme au destin hors normes se réjouit de pouvoir enfin montrer son travail, entamé il y a près de 70 ans presque par hasard.
Venu en France, ce fils d'immigrés russes juifs né à Buenos Aires se rêvait artiste-peintre. La Seconde guerre mondiale en décidera autrement.
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A 17 ans, après avoir échappé à l'internement au camp de Drancy, il entre dans la Résistance. Ce passionné de chimie, initié aux règles de la photogravure par un militant d'extrême droite mais anti-nazi, devient faussaire.
C'est le début d'une riche carrière de trois décennies menée au péril de sa vie et au mépris de sa santé, sous couvert d'une activité de photographe tout ce qui il y a de plus banal dans ses ateliers du Quartier latin ou du Sentier.
"J'ai eu la chance de sauver des vies humaines. J'ai travaillé jour et nuit, au microscope, j'en ai perdu un oeil mais je ne regrette rien", souligne celui qui était alors connu sous le pseudonyme de "M. Joseph".
Spécialiste des faux papiers, il travaille pour les services secrets français jusqu'à l'anéantissement de l'Allemagne nazie, aide les rescapés juifs des camps de la mort à émigrer en Palestine, puis devient faussaire politique, en mettant ses talents d'expert ès faux papiers au service des acteurs de toutes les luttes anti-colonialistes et anti-fascistes dont l'inventaire donne le tournis.
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Le petit détail qui fait vrai
Réseau Jeanson et FLN pendant la guerre d'Algérie, anti-franquistes en Espagne, anti-Salazar au Portugal, lutte contre les colonels en Grèce, printemps de Prague, luttes contre les dictatures en Amérique latine, ANC, Guinée, Angola, déserteurs américains pendant la guerre du Vietnam et même jusqu'à Daniel Cohn-Bendit en mai 68...
"J'étais contre la violence, les fascismes. Quand il y a eu la guerre d'Algérie, je ne connaissais pas d'Algériens. Mais c'était une guerre inutile. J'ai fait ce que j'ai fait et j'ai bien fait", affirme l'octogénaire, barbe blanche et caractère bien trempé.
"Une erreur et j'envoyais quelqu'un à la mort", reprend-t-il. "Les papiers d'identité, c'est qu'il y a de plus facile à reproduire, non il fallait aussi qu'on puisse trouver le petit ticket de chemin de fer froissé, la lettre d'une mère à son fils avec le cachet de la poste du patelin où on est censé être". Bref le petit détail qui fait vrai.
Des photos qu'il expose à Fontenay et où les analogies avec le Paris perdu des Brassaï, Cartier-Bresson ou Ronis sont évidentes, Adolfo Kaminsky dit qu'il les a prises "du monde" qui était le sien: le Paris des Parisiens pauvres".
Mais pour cet homme qui a fait de sa vie un roman, (sa fille, Sarah en a d'ailleurs fait un livre, "Une vie de faussaire" en 2009), l'exposition est peut-être aussi une manière de tourner une dernière fois la page de "M. Joseph".
"Je n'ai pas changé le monde mais le monde n'a pas pu me changer", constate-t-il au soir de sa vie.