Munie d'un crayon, Bérénice Chang Ricard note scrupuleusement le poids de chaque seau apporté par ses amis vendangeurs: sa cuvée ne doit pas dépasser les "60 kg", seuil critique, selon cette viticultrice de ville, pour faire un vin de qualité avec sa micro-vigne.
Cela fait dix ans que Bérénice et son époux Alain, un couple d'universitaires bordelais, ont planté 70 pieds de vigne dans le jardin de leur grande maison, située dans un quartier résidentiel de Bordeaux. Voir la vidéo.
Leur première vendange, en 2005, a donné à peine 8 kg de raisin et n'a pas laissé un souvenir impérissable aux amis qui, chaque année, viennent les aider, dans une ambiance conviviale, à cueillir les 40% de cabernet et 60% de merlot que compte la vigne.
"Cette année, il est très bien, il y a une amélioration considérable du cru et du savoir-faire", plaisante tout en goûtant le millésime 2011, Jean-Louis Balance, un universitaire bordelais retraité venu leur prêter main forte.
"On ne fait pas du tout un vin de garde mais un vin pour le quotidien", rappelle Bérénice Chang Ricard, longtemps biologiste moléculaire à l'INRA de Bordeaux.
Taquine, cette chercheuse d'origine hawaïenne installée depuis plusieurs décennies à Bordeaux, se plait à qualifier son cru de "vin de cuisine" en référence aux "vins de garage" rendus célèbres par l'oenologue Robert Parker.
"comme dans les grands châteaux"
Assise sur une table de jardin aux côtés de ses deux petits-enfants de 4 et 6 ans qui l'aident à trier les grains "comme dans les grands châteaux", Mme Ricard raconte comment très vite, après son arrivée dans le Bordelais, elle a "rêvé" de faire elle-même son vin.
Une fois trié, le moment préféré de son époux est le foulage aux pieds des raisins dans de grandes bassines, alors que Bérénice se précipite avec son éprouvette pour calculer la teneur en sucre du jus à l'aide d'un mustimètre.
"Nous devrions avoir une teneur en alcool de 12,8 degrés cette année", lance la viticultrice qui force l'admiration de ses amis, et notamment de sa compatriote Virginia Coulon, pour avoir "au fil des ans réussi à maîtriser tous les paramètres pour faire un très bon vin".
Un pari d'autant plus difficile à relever que cette ex-candidate EELV aux cantonales a choisi de produire un raisin biologique en n'utilisant que du cuivre et du soufre pour combattre les principales maladies de la vigne, le mildiou et l'oïdium.
Son vin ne porte cependant pas l'appellation vin biologique, il arbore une simple étiquette "grand vin de graves" et s'appelle "clos Ganda", en référence à l'acteur nigérien Oumarou Ganda, dont M. Ricard est admirateur.
Mais la mise en bouteille prendra plusieurs mois. Auparavant, le couple doit attendre une dizaine de jours pour presser le marc puis près de deux mois avant de procéder au premier soutirage de ce vin qui n'est pas élevé en barriques mais dans d'immenses bouteilles.
De cette cette expérience est né en 2010 "Microvino, faire mon vin dans mon jardin", sorte de petit livre de recettes qui relate toutes les étapes, de la plantation à la mise en bouteilles en passant par la vinification, pour produire un vin à partir de petites quantités de raisin, de l'ordre de 20 à 100 kg.
"Jusque-là, il n'y avait pas de manuels édités en France sur la manière de faire du vin en aussi petite quantité", se souvient son époux, Alain Ricard, également universitaire retraité, qui a eu l'idée de ce livre en voyant le célèbre documentaire "Mondovino" de Jonathan Nossiter.
Anglophone, Mme Ricard vient de traduire son ouvrage en anglais et cherche un éditeur aux Etats-Unis, où quelques ouvrages sur le sujet existent déjà. Elle songe à en faire une version en chinois.
("Microvino, faire mon vin dans mon jardin", Editions Confluences, 93p)