L'homme d'affaires et collectionneur François Pinault donne la parole aux images dans une exposition sur l'art vidéo qui ouvre jeudi au Palazzo Grassi, faisant écho à la 69e édition de la Mostra de Venise.
Une trentaine d'oeuvres de 27 artistes, puisées dans la collection du milliardaire français par la commissaire de l'exposition Caroline Bourgeois, se déploient dans le du XVIIIe siècle acquis en 2005 par M. Pinault.
Plusieurs acquisitions récentes sont à découvrir. Parmi elles, une oeuvre hypnotique de l'Américain Bruce Nauman, intitulée "For beginners" (Pour débutants). Sur des écrans, les mains de l'artiste s'animent, obéissant à des instructions orales intimant la position des différents doigts.
"Lorsque nous avons vu cette oeuvre, nous avons été scotchés. L'artiste voulait l'offrir à un musée californien. Nous nous sommes battus pour l'avoir", explique François Pinault à la ministre française de la Culture Aurélie Filippetti, venue visiter l'exposition en marge de son passage à la Biennale d'architecture de Venise.
Il a fallu à l'homme d'affaires plusieurs mois de discussions pour trouver une solution. Bruce Nauman a accepté que François Pinault achète l'oeuvre, en donne une copie au Lacma (Los Angeles County Museum of Art) et garde l'autre copie pour sa collection.
A côté de ces mains qui parlent, l'artiste américaine Zoe Leonard, née en 1961, laisse s'exprimer la beauté envoûtante de Venise en plongeant le visiteur dans une "camera obscura" (chambre obscure). Grâce à une lentille, la lumière venant du dehors pénètre dans la salle plongée dans le noir, formant une image inversée et renversée de ce qui se passe en temps réel à l'extérieur. Le Grand Canal, les bateaux entrent dans la pièce mais à l'envers. L'eau scintille sur les plafonds dorés du palais. La magie opère. Des coussins sont posés au sol pour les contemplatifs.
"Victoire"
Avec "Hall of whispers" (Couloir de murmures, 1995), l'Américain Bill Viola dit l'impossibilité de communiquer. L'installation met en scène dix visages d'hommes et de femmes, les yeux fermés, la bouche bâillonnée, d'où s'échappent des propos inaudibles. Une atmosphère oppressante qui donne assez vite envie de s'échapper de la pièce.
Chez Javier Téllez, artiste né au Venezuela, des malades d'un hôpital pychiatrique parviennent, elles, à faire entendre leur souffrance en étant confrontées au film muet "La passion de Jeanne d'Arc" de Dreyer. Elles réécrivent les cartons des dialogues et se confient devant la caméra.
Mohammed Bourouissa, né en Algérie en 1978 et installé en France, donne la parole à un prisonnier via son téléphone portable. Le détenu photographie son univers réduit via son mobile et envoie les images à l'artiste qui lui fait parvenir en échange des photos de l'extérieur.
L'aliénation parfois liée au travail s'exprime dans deux installations, celle du Belge Michel François pour la version bureau et celle de Cao Fei, artiste chinoise pour la version usine.
Toutes ces oeuvres parlent mais chacun les entend à sa guise. "On n'est pas dans la narration comme au cinéma", relève Caroline Bourgeois, qui a démarré la collection d'art vidéo de François Pinault en 1997.
Au fil des années, la vidéo a cessé d'être perçue comme un médium à part et s'est intégrée dans les pratiques artistiques des plasticiens.
"C'est la victoire de la vidéo de ne plus être cantonnée dans une catégorie et d'être devenue sculpturale d'une certaine manière", déclare Mme Bourgeois.
(Exposition "Paroles des images" jusqu'au 13 janvier au Palazzo Grassi à Venise. Catalogue édité par Electa. 232 pages, 45 euros - www.palazzograssi.it).