Le comédien français Jean-Pierre Marielle a le verbe franc: il s'enorgueillit de n'avoir jamais mis les pieds aux César, se méfie des "nases" et même de Dieu: "Avec moi, ça vient du coeur ou du fusil" prévient-il.
A l'approche de ses 80 ans, en avril, l'acteur reçoit chez lui en bordure du stade de Roland-Garros avant la sortie de "Rondo", conte philosophique du cinéaste belge Olivier Van Malderghem.
Il est Abraham, vieil érudit juif réfugié à Londres, misanthrope et rigide, contraint en 1942 d'accueillir son petit-fils Simon dont le père a été raflé à Bruxelles. Confronté à la Shoah, Abraham refuse d'abord cette réalité qui met en cause l'existence de Dieu.
"Le sujet m'a tout de suite plu parce qu'il parle de l'existence de Dieu et à mon âge, ce genre de choses ça compte", lance l'acteur qui se réjouit de cette rencontre, presque une "évidence", avec ce personnage pourtant déplaisant au premier abord.
"Pour un acteur, ce n'est pas très intéressant de jouer un type sympa. L'instabilité, le trouble sont beaucoup plus riches. Et surtout, c'est bien de varier".
En plus de 100 films, Jean-Pierre Marielle a déjà traversé un demi-siècle de cinéma français, pas que des chefs d'oeuvre concède-t-il volontiers, du comique - "Les Grands Ducs" avec son ami Jean Rochefort - et du polar, du tragique, du sale type, du beauf bête et méchant.
"Faites sauter la banque" (1964), "Que la Fête commence", "les Galettes de Pont-Aven", "Dupont Lajoie" (1975), "Coup de Torchon" (1981), "Uranus" (1990), "Un, deux, trois Soleil" (1994) jusqu'aux "Ames grises" (2005), Marielle est une cinémathèque hexagonale à lui tout seul.
"Qu'aurais-je pu faire d'autre?"
Mais c'est l'évocation de "Les Mois d'avril sont meurtriers" de Laurent Heynemann (1987) et celle de "Tous les matins du monde" d'Alain Corneau (1991), gloire à la viole de gambe, qui retiennent soudain son attention et, en vrai, toute son affection.
C'est d'ailleurs en songeant à M. de Sainte Colombe qu'Olivier Van Malderghem a fait appel à lui: "Abraham est un personnage fragile, un peu monstrueux, à la tendresse cachée: chez Marielle il y a tout ça, avec le panache et l'aisance. Une palette très large du drame au comique qui permettait de faire ressentir le ridicule de l'homme à principe".
"Mais quand on tourne avec lui, ajoute-t-il, il ne ment jamais. Il ne fera jamais de concession, ou il préfèrera s'abstenir".
Vrai. "Ca vient du coeur ou du fusil" assène Jean-Pierre Marielle en souriant qui détaille: "Il faut avoir le respect du metteur en scène, mais si on tourne avec un nase ou un nul, on le sait tout de suite".
"Abraham, c'est un peu de moi dans la réalité. Pourtant, j'ai été élevé dans une famille pas religieuse du tout. Ma grand-mère catholique allait à la messe parce que ça lui rappelait son enfance, sa jeunesse".
Sorti du Conservatoire dans la même fournée que Jean-Paul Belmondo, Bruno Crémer, Claude Rich, Jean Rochefort et Françoise Fabian, Marielle assure qu'il n'a aucune nostalgie. En revanche, enchaîne-t-il, "mon intérêt pour ce métier ne faiblit pas; quand on a eu la chance de le faire, il faut le reconnaître".
"Qu'aurais-je pu faire d'autre? J'aime ce qui reste de l'ordre de l'immédiat, de l'instant. Je lis le scénario et je demande tout de suite quels seront les partenaires, c'est capital. Un film, il faut que ce soit une rencontre".
Quant aux récompenses, lui sept fois nommé aux César et jamais récompensé, s'enorgueuillit de n'y avoir jamais assisté: "Les César? J'en ai rien à foutre, je ne suis pas un acteur de tombola. L'important, c'est devant la caméra. C'est servir un auteur, en découvrir un nouveau".
"Les César, c'est un truc pompé sur Hollywood. Ca ne vaut pas un bon verre, c'est vain".
Et Dieu, au fait? "Dieu est fou. S'il existe".