La junte qu'ils raillaient à leurs risques et périls n'existe plus. Mais les loufoques Frères Moustache ne sont pas prêts pour autant à renoncer aux piques et sarcasmes, qu'ils destinent désormais au nouveau régime birman.
Avec à peine plus que leurs traits d'esprit, les satiristes sexagénaires, membres de l'une des troupes les plus célèbres de Birmanie, comptaient parmi les plus courageux détracteurs de la dictature militaire.
Leur audace est moins dangereuse sous le nouveau gouvernement "civil" qui multiplie les réformes depuis près d'un an. Mais pour eux, la nouvelle équipe contrôlée par d'anciens militaires ressemble trop à la précédente. "C'est du vieux vin dans une bouteille différente", commente Par Par Lay, 64 ans.
Officiellement interdit, le trio satirique se produit désormais en anglais pour les touristes qui viennent les applaudir de plus en plus nombreux, chaque soir à Mandalay, une grande ville du centre du pays.
Ils espèrent partir un jour en tournée pour expliquer aux plus pauvres leur vision de la politique. En Birman cette fois. Mais pour l'instant, Par Par Lay, son jeune frère Lu Maw et leur cousin Lu Zaw se contentent de l'exigu garage familial et de visiteurs étrangers.
Un moyen de continuer à faire rire malgré l'interdiction dont ils font l'objet, et dont ils jouent avec leur public lorsque Lu Maw, 62 ans, invite perfidement au silence pour ne pas alerter les agents du pouvoir postés à proximité.
"Nous sommes sur liste noire, des taulards, des illégaux, vous savez. Alors vous êtes ici illégalement", lance-t-il ainsi à une jeune Américaine au premier rang. "Ne vous inquiétez pas, le gouvernement adore les touristes parce qu'il veut vos dollars".
Par Par Lay prend alors le relais. Le public veut-il voir un numéro typiquement birman ? En quelques secondes, sa célèbre moustache disparaît sous une cagoule et il se transforme en cambrioleur, pistolet à la main.
"C'est comme ça qu'ils sont, comme Jesse James, Ali Baba, comme des bandits", lance Lu Maw au micro, en allusion aux militaires.
Le trio jouait, il y a des années, l'un des spectacles les plus populaires du pays. Mais en 1996, les deux frères avaient été arrêtés pour s'être moqués de la junte lors d'une représentation chez l'opposante Aung San Suu Kyi à Rangoun.
Malgré les appels de la communauté internationale, ils avaient été condamnés à sept années de prison, puis envoyés en camp de travail avant d'être libérés en 2001.
Loin de les faire taire, cette expérience avait affûté leurs piques contre le gouvernement. Et Par Par Lay avait été à nouveau emprisonné pendant un mois en 2007, pendant la répression de la "révolte safran" emmenée par des moines bouddhistes.
Aujourd'hui, le régime n'est plus leur seule cible et l'Occident, en particulier les Etats-Unis qui se sont dits prêts à échanger des ambassadeurs avec Naypyidaw, n'est pas épargné.
Pourquoi les Etats-Unis et leurs alliés n'ont-ils pas envoyé des drones en Birmanie, où l'armée est accusée d'atrocités contre des civils, s'interroge Lu Maw. "La Birmanie est comme la Libye, l'Egypte, la Somalie ou la Syrie. Mais ils ont du pétrole", répond-il.
"Mais ils ne savent pas que nous, nous avons de l'opium et de l'héroïne aussi".
A la fin d'un spectacle d'une heure, les trois remercient personnellement les spectateurs, qui achètent quelques souvenirs dont les ventes doivent servir à aider les derniers prisonniers politiques oubliés par les amnisties de ces derniers mois.
Quant aux élections partielles du 1er avril, Par Par Lay est persuadé que la candidate Suu Kyi y fera plus que bonne figure.
Mais il appelle à surveiller le bon déroulement du scrutin. "Elle va gagner, tout le monde sait ça", lance-t-il. "Mais le 1er avril, le jour des élections, c'est aussi le jour des poissons d'avril. Nous espérons que ce ne sera pas une farce".