Ce soir à Cannes, le réalisateur français Olivier Assayas montera les marches du Palais des Festivals au côté de Kristen Stewart, avec qui il avait déjà collaboré sur «Sils Maria». Habitué de la Croisette, il va tenter de remporter la Palme d'or pour la cinquième fois de sa carrière avec le thriller surnaturel «Personal Shopper».
Aviez-vous la volonté de faire un film de genre ou est-ce le sujet qui vous l'a imposé?
C’est plutôt le personnage qui me l’a imposé. Ce que j’ai eu envie de raconter, c’est la tension entre le matérialisme du monde contemporain et la façon dont on peut y échapper à travers nos rêves, nos idées. On a besoin d’un antidote quel qu’il soit et on va le chercher à l’intérieur de nous-mêmes, dans un monde d’idées qui peut être celui du spirituel. J’étais intéressé pour en parler de manière très littérale et donc en créant des portes entre les deux mondes. Le genre du film est la traduction de ces portes.
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Dans le film, vous évoquez le goût pour le spiritisme de deux artistes : Victor Hugo et Hilma Af Klint.
Je me suis toujours intéressé en tant qu’artiste à cette question de la façon dont l’art et la spiritualité communiquent. C’est quelque chose qui est aux origines de l’art moderne. Ce sont des questions qui ont été essentielles dans la définition de l’art moderne. Ce sont des choses qu’aujourd’hui on rejette, qu’on considère négligeable. J’ai très vite relié ça à l’art d’Hilma Af Klint et à Victor Hugo. Parler directement de leur travail dans le film me permettait de faire quelque chose de plus ancré, de plus tangible.
La peinture que vous faites du monde contemporain passe par de nombreuses images d'écrans de téléphones et de textos.
J’ai écrit ce film au sortir d’une expérience un peu traumatisante, celle d’un film assez ambitieux que je devais faire au Canada et dont le financement s’est écroulé à la veille du tournage. Je me suis alors dit que j’allais faire un tout petit film, de manière expérimentale. Depuis longtemps je m’interrogeais sur cette espèce de fascination qu’on a pour le texto, sur la capacité d’aimantation qu’a l’écran du téléphone et la façon dont se construit la discussion avec autrui à travers ce format-là, qui est complètement moderne, et dont on n’a encore jamais exploré, à mon avis, les possibilités dramaturgiques.
Avez-vous écrit pour Kristen Stewart?
Ce personnage a été inspiré par elle en tout cas. Mais c’est toujours un petit plus compliqué que cela. Je ne l’aurai pas écrit sous cette forme-là si je n’avais pas connu Kristen, si je n’avais pas tourné avec elle dans "Sils Maria". Avais-je la certitude que ce serait Kristen qui jouerait? Oui, non, pas tout à fait. Mais une fois que le scénario était terminé et que je lui en ai parlé, il y a eu une certitude que tout ce processus conduisait là.
Comment s’articule votre collaboration avec elle ? Lui avez-vous conseillé de regarder des films-références?
Je crois qu’elle fonctionne un peu comme moi, à savoir que... le moins on se parle du film ou du personnage, le mieux c’est. Et le plus ça laisse de liberté de création et d’espace à la fois pour elle et à la fois pour moi. Je ne lui donne pas de références. Je lui ai quand même donné le catalogue de Hilma Af Klint car je voulais qu’elle comprenne, qu’elle s’en imprègne. Qu’elle voit le lien qu’il peut y avoir entre l’art et l’invocation des esprits. Je ne lui ai pas fait d’explication de textes. Et jamais je ne lui parle du personnage parce que pour moi, choisir un acteur ce n’est pas prendre quelqu’un qui est une coquille vide que je vais devoir nourrir… Un acteur ou une actrice est quelqu’un qui porte en lui une certaine vérité du personnage que j’ai écrit. Je vais donc plutôt aller à la recherche de cette vérité à travers cet acteur qu’en essayant de le transformer selon mes préjugés.
Vous êtes un habitué du Festival de Cannes. Quel est votre sentiment quelque heures avant de gravir les marches?
Je suis un habitué... Je ne sais pas si c’est un compliment, ou pas, mais c’est vrai que je suis venu souvent. Plus on connaît Cannes plus on sait que c’est terrifiant. En même temps, on est complice de cela. Je ne sais pas si on fait tout pour y aller mais en tout cas il y a une sorte d’aimantation très puissante de Cannes. C’est formidable pour un film d’y être montré. Par ailleurs, c’est la fosse aux lions. On ne sait pas comment on va être dévoré mais on va l’être par quelque chose. Que cela se passe bien ou mal, on traverse quelque chose de très violent et donc il faut essayer de se protéger.