Très attendu par ses fans lors de Japan Expo 2015 qui commence ce jeudi à Paris, le mangaka Boichi, auteur de la série Sun-Ken Rock (Doki-Doki), sera présent pour des dédicaces tout au long de l’événement au parc expo de Paris Nord-Villepinte. Direct Matin a pu le rencontrer cette semaine à Paris pour un long entretien à la découverte de son art.
Vendu à plus de 300 000 exemplaires en France, le manga Sun-Ken Rock suit l’ascension de Kitano Ken, un chef de gang au grand cœur. Mangaka japonais d’origine coréenne, Boichi vient pour la première fois en France à la rencontre de son public. Au Japan Expo, il dédicacera l’ouvrage The Art of Sun-Ken Rock, édité spécialement pour la France par Doki-Doki (stand C80 Hall 5 A).
Sun-Ken Rock connait un très grand succès en France. Lorsque vous avez commencé cette série, vous attendiez-vous à ce que Kitano Ken et son histoire dépassent les frontières du Japon ?
Pas du tout. Je n'avais même pas imaginé un succès au Japon, alors, vous imaginez, encore moins en France. Quand j’ai su qu'ici, Sun-Ken avait un certain succès, j'avais beaucoup de mal à y croire. Un jour, lorsque j'étais fatigué par le travail, j'ai reçu des lettres et des dessins de fans français. Tout ceci a été un encouragement pour moi, pour me motiver et poursuivre mon travail. C'est d'ailleurs pour leur rendre de cet amour qu'ils m'ont témoigné, que je suis venu en France faire ce séjour.
Le visage du gangster au grand cœur dépeint dans Sun-Ken Rock est souvent mis en avant dans les productions japonaises. Les mafieux américains, italiens, russes... ne bénéficient pas d'un tel niveau de sympathie. Comment expliquez vous cette différence ?
L’une des raisons que j’avance, c'est que les yakuzas n'ont pas d'influence sur la vie quotidienne des Japonais. Ces organisations n'embêtent pas le citoyen lambda. C'est peut-être pourquoi les Japonais n’ont pas le même regard sur elles. Toutefois, je n’apprécie pas ce milieu. Il faut donc faire la différence entre la réalité et la fiction. Dans la réalité, on peut prendre comme sujet la mafia pour en faire une sorte de métaphore par rapport au pouvoir.
Dans la fiction, on peut aborder ce thème pour faire de l'humour et le décrire autrement. Alors, pourquoi s’intéresser à la mafia ? Car il y a quelque part une pureté naturelle dedans : quand on parle de fantasy, le mal c'est le diable ; quand il s'agit de science-fiction, ce sont les extra-terrestres ; dans la réalité, il est très difficile de choisir un équivalent. Or, lorsque l'on remonte dans l'histoire, on retrouve toujours des organisations de bandits, comme la mafia.
© Boichi / Shônen Gahôsha
Quelles ont été vos influences en matière de films de gangsters ?
Je cite souvent les films Le Parrain, Le Syndicat du Crime, la série coréenne Le Sablier ou encore Outrage, de Takeshi Kitano. Beaucoup d’autres m'ont influencé pour dépeindre mon oeuvre. Il y a aussi le film français Nikita qui m'a inspiré et m’inspire encore aujourd’hui pour les scènes d'action. Ça a été un vrai choc visuel.
Vous apportez un soin très méticuleux à dessiner les jolies filles mais aussi les bons plats. C'est une forme de lutte contre le sexisme et la mal-bouffe ?
Vous avez une vision très flatteuse de mon travail qui m'honore ! Mais ma vision est beaucoup plus simple. Quand je dessine cela pour le lecteur, je réponds à deux questions : aimez-vous les jolies filles et aimez-vous manger ? Moi oui et je dessine ces deux sujets avec passion.
D'ailleurs, un jour, un fan de 17 ans m'a fait un des meilleurs compliments de ma carrière en me disant que je dessinais magnifiquement bien les fesses des filles. J'ai une vision très latine de la chose en effet ! Le personnage que je préfère dessiner est d'ailleurs Yumin (la fille policier dont le héros est amoureux, ndlr), c'est l'instrument ultime de la tentation.
Un autre domaine est également dépeint : la corruption jusque dans les plus hautes sphères de l'Etat coréen. Vous semblez en avoir fait un véritable combat personnel...
Quand j'étais jeune, j'ai grandi en Corée, où le dirigeant restait à vie à la tête du pouvoir, soit une dictature. Aujourd'hui, il y a encore beaucoup de gens qui s’y battent contre la corruption et l'injustice. C'est le cas aussi dans d'autres pays, où les libertés ne sont pas respectées.
Il y a beaucoup d'efforts à faire. Dans Sun-Ken Rock, j'inscris un regard critique par rapport à mon pays et je pense que chacun doit faire de même vis-à-vis du sien. Il faut tenter d'améliorer son propre pays, c'est le message que je veux donner à mes lecteurs.
Vous abordez des sujets souvent polémiques, comme l'exploitation des jeunes chanteuses en Corée. C'est un phénomène qui s'amplifie là-bas ?
Ce chapitre de Sun-Ken vient d'une expérience personnelle, puisque j'ai pu travailler avec une chanteuse célèbre en Corée. J'étais très peiné par ce qui se passait dans ce milieu, mais je ne pouvais pas les divulguer car cette star était en activité. Elle m’avait dit qu'un jour, une fois à la retraite, elle trouverait le courage de témoigner. Moi aussi je m’étais promis de le faire puisque d'autres n'avaient pas le courage de raconter ce qui se passe dans le showbiz coréen.
Ensuite, il y a eu le suicide d'une actrice coréenne en lien avec ce que m’avait raconté cette chanteuse. Avec le temps et ces histoires qui ont secoué la Corée, le star system s'est un peu amélioré. Mais je reste persuadé qu'il y a toujours des jeunes femmes qui souffrent dans ce milieu, et c'est ma manière de les aider à mon niveau.En revanche, ce n'étaient pas des histoires sexuelles, mais des abus de pouvoir. Dans le manga, j'ai opté pour le sexe par évidence et pour marquer les esprits.
Y a-t-il une BD européenne qui vous fascine ou vous a influencé ?
Quand j'étais petit, j'aimais beaucoup Astérix et Tintin. Je me suis d'ailleurs procuré une intégrale des volumes de Tintin et ses aventures très récemment, malheureusement je n'ai toujours pas eu le temps de m'y plonger. C'est une des premières choses que je ferai dès mon retour.
Qu'allez-vous faire à Paris durant votre séjour ?
Je suis là pour rencontrer le plus de fans possible, mais avec le temps qu'il me reste pour les repas, je compte bien goûter le plus de fromages français possibles, les plus forts, que nous n'avons pas en Asie.