Pablo Picasso l’utilisait pour sculpter, Eric Tabarly ne jurait que par lui et l’emmenait sur son Pen Duick, et Paul Bocuse le conserve depuis l’enfance. Depuis sa création en 1890, le couteau de poche Opinel est devenu une véritable institution. Des pics de Savoie, en Maurienne, aux vitrines des galeries d’art, cet objet familier a fait le tour du monde.
Archives – Article publié le mardi 30 octobre 2007
A l’âge de dix-huit ans, Victor-Amédée Opinel apprend son métier de forgeron-taillandier pendant ses tournées sur les routes de France. Il installe une forge dans la petite commune d’Albiez-le-Vieux (Savoie) dans laquelle il confectionne des serpes, des clous, des lames et des couteaux pour les agriculteurs de la région – c’est précisément le métier de taillandier. Son atelier est ensuite repris par son fils Daniel. Ce dernier perpétue la tradition.
C’est son fils Joseph qui est à l’origine du succès familial : il fabrique pour quelques amis les premiers modèles de couteaux de poche Opinel en 1890. Son père Daniel considère cela comme une simple activité récréative et n’imagine pas que ces couteaux robustes et bon marché puissent un jour rencontrer leur public.
L’atelier familial prend de l’ampleur. La série des douze tailles numérotées de 1 à 12 est élaborée et produite. Joseph fonde sa première usine à Gévoudaz et conçoit une machine permettant de réaliser une fente dans le manche pour y glisser la lame du couteau. Alors que ses produits remportent un franc succès, le jeune Savoyard dépose sa marque de coutellerie et choisit pour emblème «La main couronnée». Cette main figure sur les armoiries de la ville de Saint-Jeande Maurienne et la couronne rappelle que la Savoie était un duché.
Peu avant la Première Guerre mondiale, Joseph Opinel intensifie sa production et exporte ses couteaux en Italie et en Suisse. Il obtient la médaille d’or à l’Exposition internationale de Turin (Italie) en 1911.
Vidéo : Opinel, un couteau bien affûté
De Gévoudaz à Cognin
De l’artisanat, la société passe à une fabrication en série. Joseph Opinel part à la recherche d’un espace industriel proche d’une source d’eau. C’est à Cognin, non loin de Chambéry et du canal de l’Hyères, que le fondateur de l’Opinel trouve une tannerie abandonnée. Ce bâtiment possède un atout supplémentaire: il se situe près des grandes voies de communication. Encore faut-il déplacer les machines de l’atelier de Gévoudaz jusqu’à la nouvelle usine. Mais rien n’effraie Joseph Opinel. Il fait transporter les engins en charrette et à dos de mulet jusqu’à la gare de Saint-Jean-de-Maurienne, puis en train.
A partir de 1920, Joseph est secondé par ses fils Marcel et Léon. Le premier est chargé de la partie industrielle et s’occupe de la conception des machines et des produits. Le second dirige la partie commerciale et s’occupe notamment des campagnes publicitaires. Sa fille Angéline aide régulièrement pour la comptabilité de la société.
En 1926, un incendie vient ruiner la production. Une nouvelle usine comprenant des machines plus modernes est reconstruite et inaugurée l’année suivante. Maurice Opinel, fils de Marcel, fait ses premiers pas en 1950 dans l’entreprise familiale qui compte alors près de cinquante ouvriers. Avec lui, le groupe Opinel invente une bague de sécurité, système simple et efficace qui améliore considérablement le couteau original.
Depuis, le système Virobloc, élaboré en 2000, garantit la sécurité de transport : la lame peut se bloquer et rester fermée. L’usine de Cognin et celle de La Révériaz, à Chambéry, continuent à produire aujourd’hui en grande quantité le célèbre couteau Opinel décliné en de nombreux formats et coloris. Les anciennes machines rustiques sont remplacées par un système robotisé.
Vidéo : L’histoire d’Opinel par Jacques Opinel
L’opinel dans le monde
Le couteau Opinel devient si célèbre qu’il apparaît dans de nombreux ouvrages littéraires. Souvent cité dans des textes et des chansons, il symbolise la culture française. Maurice Opinel crée en 1992 le prix littéraire «Charmettes-Jean- Jacques Rousseau» dont l’objectif est de rendre hommage à une œuvre proche de la nature, chère à la famille Opinel. Surnommé «French Knife» («couteau français») par les Américains, l’Opinel s’expose au Musée d’art moderne de New York.
En 1985, le Victoria et Albert Museum de Londres le sélectionne pour une grande exposition. Le couteau figure parmi les cent objets les mieux dessinés au monde. Aux côtés de la Porsche 911 et de la montre Rolex, le couteau devient une référence dans le monde du design international. Il intègre l’ouvrage The Good Design Guide.
Après son entrée dans le dictionnaire Larousse en 1989 parmi les noms communs en tant que marque déposée, l’Opinel est retenu pour figurer dans le Phaidon Design Classics. Le célèbre couteau d’origine savoyarde est consacré comme l’un des 999 produits les plus aboutis dans l’industrie par un jury de designers internationaux.
La société profite de l’actualité pour promouvoir ses produits. Ainsi, à l’occasion des Jeux olympiques d’hiver de 1992, le couteau change de look et s’offre le luxe d’avoir en apposition l’inscription «Albertville 92» sur le manche. La lame porte pour seule inscription «Savoie, France» à la différence de nom habituel d’Opinel.
A l’image des couteaux Laguiole ou Nontron, l’Opinel symbolise le savoir-faire français. Pratiquement inchangé, robuste et bon marché, le couteau savoyard a encore de beaux jours devant lui.
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