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Guerre en Ukraine : pourquoi la Russie n’a-t-elle toujours pas remporté la bataille du ciel ?

Un avion ukrainien Soukhoï 27. [STR / AFP]

Malgré sa supériorité numérique et technologique, l'armée de l'air ne contrôle toujours pas l'espace aérien en Ukraine. Comment expliquer ces difficultés ?

Trois mois après le début de la guerre, le bilan militaire de l'armée russe est maigre. Après avoir échoué à prendre Kiev dans la première phase de l'offensive, Vladimir Poutine a concentré ses forces dans l'Est du pays où l'armée avance difficilement.

Pour comprendre pourquoi les troupes de Vladimir Poutine piétient autant, il faut aussi regarder dans le ciel. Car malgré sa supériorité numérique et technologique, l’armée de l’air russe rencontre de grandes difficultés. Voici lesquelles.

en Ukraine, l'aviation et la défense anti-aérienne toujours opérationnelles

Au premier jour de l'offensive, l’armée russe a bombardé des cibles militaires ukrainiennes comme des aérodromes, des centres d'entraînement ou des stocks de munitions. «C'est une méthode classique dans les guerres occidentales qui consiste à détruire les capacités de défense de l'ennemi avant d’envoyer les troupes au sol», indique à CNEWS le général de corps aérien Bruno Clermont.

Problème : cette campagne aérienne a obtenu des résultats mitigés, une grande partie de l’aviation ukrainienne et des systèmes de défense anti-aérienne étant restée intacte.

Les appareils russes qui s’aventurent en territoire ukrainien encourent donc de nombreux risques. A haute et moyenne altitude, ils sont dans le viseur des S-300 et des Buk, des lance-missiles montés sur véhicule datant de l'époque soviétique. A basse altitude, ils risquent d'être abattus par des missiles Stinger, comme le montre la vidéo ci-dessous, partagée sur les réseaux sociaux par les forces ukrainiennes.

Fournis en nombre par les Etats-Unis, les Stinger sont des systèmes portatifs de défense aérienne (MANPADS) qui ont l’avantage de pouvoir être maniés à l'épaule par des troupes au sol. «La défense anti-aérienne ukrainienne est très mobile, ce qui la rend particulièrement difficile à anéantir», souligne le général Clermont.

Depuis le début de l'offensive, les Ukrainiens auraient abattu pas moins de 204 avions et 170 hélicoptères ennemis, selon les chiffres du ministère de la Défense ukrainien.

De son côté, l’aviation ukrainienne reste relativement discrète et affiche donc peu de pertes. Cantonnée à l’ouest du pays, elle effectue essentiellement des missions de dissuasion. «L’armée de l’air ukrainienne préserve ses forces et reste éloignée des combats. Elle n’effectue qu’une dizaine de sorties par jour», indique notre expert.

une armée de l'air russe mal préparée

Si l'armée de l'air russe a déjà opéré sur des théâtres de guerre comme la Syrie, elle n'a jamais été déployée sur un théâtre d'opération comme l'Ukraine, où le territoire à conquérir est vaste et la résistance locale acharnée. Le conflit révèle donc des failles importantes.

Les aviateurs russes manquent d'abord cruellement d’entraînement et d'expérience. «Les pilotes russes font à peine 100 heures de vol par an, contre 180 à 240 heures pour les pilotes occidentaux de l'Otan», indique le général Clermont.

«Si la Russie a échoué à neutraliser les défenses ukrainiennes, c'est aussi par manque de renseignements et d'outils de planification performants. Mener une campagne aérienne dans un pays aussi vaste que l'Ukraine relève d'une gymnastique qui nécessite des techniques de pointe et un entraînement très spécifique», souligne l'expert militaire.

L’armée de l’air russe souffre par ailleurs des mêmes problèmes que l’armée de terre : un manque de coordination, des défaillances du commandement et un moral des soldats en berne.

des équipements pas si modernes

Sur le papier, l'armée de l'air russe est très largement supérieure à celle de l'ennemi ukrainien. Les forces aérospatiales russes (VKS) engagent en Ukraine plusieurs centaines d'avions de chasse (Mig-29, Soukhoï-27, Soukhoï-35…) une centaine de bombardiers stratégiques (Tu-160, Tu-22…) et plusieurs avions radars. Face à cette armada, la flotte ukrainienne ne compte qu'une centaine d'avions de chasse.

Missiles hypersoniques et thermobariques, «avion de l'apocalypse», bombe nucléaire... Exposé à Moscou le 9-Mai dernier, l'arsenal militaire russe a de quoi effrayer. En réalité, ces armes ultra-modernes ne seraient qu'un échantillon non représentatif de l'équipement russe.

Preuve en est l’utilisation massive en Ukraine de bombes dites «non guidées», peu précises (environ 100 m) et donc peu efficaces. Pourquoi l'armée n'utilise-t-elle pas des bombes guidées, par laser ou par GPS, comme les Occidentaux ? Stock épuisé en Syrie, volonté d'en conserver pour la suite de la guerre ? «Les sanctions économiques coupent la Russie des composants électroniques nécessaires à leur fabrication», avance de son côté Bruno Clermont.

Par ailleurs, les équipements les plus sophistiqués ne seraient même pas sur le front. Vantés par le Kremlin, les avions furtifs Soukhoï-57 n'ont toujours pas été observés en Ukraine.

Plus surprenant, les aviateurs russes en seraient parfois contraints au système D. De simples récepteurs GPS ont par exemple été retrouvés scotchés dans des avions russes abattus par les Ukrainiens, si l'on en croit le ministre britannique de la Défense.

L’armée russe se révèle disparate, avec d'un côté une technologie de pointe et de l'autre du matériel hérité de l’époque soviétique. Entamée en 2008 après des années de sous-investissement, «la modernisation de l’outil militaire russe, bien réelle et accompagnée d’un vrai soutien budgétaire, n’a pu être que progressive et sélective», soulignait Isabelle Facon dans une tribune parue dans Le Monde.

Un potentiel sous-exploité

Mal préparée, confrontée à une féroce résistance ukrainienne, l'armée russe semble vouloir limiter les risques. «L'armée de l'air russe a fait environ 22.000 sorties en plus de 90 jours de guerre. A titre de comparaison, pendant la guerre du Golfe, la coalition internationale avait fait 100.000 sorties en 40 jours», souligne le général Clermont.

Bien souvent, l'Etat-major se contente d'utiliser les bombardiers stratégiques (Tupolev Tu-160, Tu-22 et Tu-95) pour tirer des missiles de très longue portée sans s'exposer aux défenses anti-aériennes ukrainiennes. Des frappes réalisées depuis la Crimée ou la Biélorussie qui ne remplacent pas celles d'une aviation de chasse, plus agile et plus précise.

«L'armée russe n'a pas su rentabiliser la puissance destructrice de son aviation. Elle fait beaucoup de dégâts mais a une efficacité relative dans ses buts militaires», résume le militaire.

Pour le général de corps aérien, «si l’aviation russe avait mené une campagne aérienne à l’occidentale dans les premiers jours de la guerre, elle aurait acquis la supériorité aérienne et obtenu ainsi une plus grande liberté d’action pour ses forces terrestres».

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