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17 octobre 1961 : soixante ans après, des mémoires toujours à vif

Six décennies plus tard, la douleur est pour beaucoup toujours très profonde. [Boris Horvat / AFP]

C'était le 17 octobre 1961. La date est méconnue du grand public, mais pour certaines associations, elle correspond, disent-elles, à un «crime contre l’humanité». Ce jour-là, il y a soixante ans jour pour jour, des civils algériens de Paris manifestaient dans la capitale contre l’instauration d’un couvre-feu imposé aux travailleurs de ce pays.

Sur ordre du Front de libération nationale (FLN), créé en 1954 pour obtenir l’indépendance de l’Algérie, la manifestation avait convergé pacifiquement vers le centre-ville. Mais la répression des forces de l’ordre fut d’une extrême violence : des manifestants avaient été arrêtés, frappés, tués, certains jetés dans la Seine. On estime qu’entre 30 et 200 personnes (selon les historiens) ont perdu la vie le 17 octobre 1961.

Six décennies plus tard, comment qualifier cet événement ? Et surtout, quelle position adopter ? Pour beaucoup, la douleur est encore vive, surtout au moment où plusieurs affaires de violences policières ont émaillé l'actualité. «Ce qu’il est intéressant de noter, c’est la multiplication des plaques et des rues "d’octobre 1961" dans de nombreuses communes», relève Gregor Mathias, historien et auteur de La France ciblée, terrorisme et contre-terrorisme pendant la guerre d’Algérie. «Le mouvement, qui était à l’origine parisien, prend une dimension nationale.» En ce sens, la prise de parole d’Emmanuel Macron, hier, était très attendue.

En 2018, le chef de l'Etat avait évoqué une «répression violente», et un pas supplémentaire reste incertain. «Il ne faut pas oublier que les accords d’Evian (Les accords officialisant la fin de la guerre d’Algérie et de la colonisation française en 1962, NDLR) ont été rendus possibles par une amnistie réciproque des crimes commis dans les deux camps», rappelle Guy Pervillé, historien spécialiste de la guerre d’Algérie. «Revendiquer la punition de ce crime-là, c’est relancer la guerre sous la forme d’une guerre des mémoires.»

Combien de morts ?

La bataille historique se joue déjà dans les chiffres. Si tous les historiens admettent sur le fond un massacre, les estimations sont très variables. Le militant Jean-Luc Einaudi, l’un des premiers à mener l’enquête autour du 17-Octobre, affirmait en 1991 qu'il y a eu «au moins 200 morts». Sa conclusion est partagée par le FLN. Mais le bilan officiel, lui, n’est «que» de trois morts. Quant aux comptages suivants, comme ceux de la commission Mandelkern (1997) et de l’historien Jean-Luc Brunet (1999), ils oscillent plutôt entre une trentaine ou une quarantaine d’homicides. «C’est tout le problème de la mémoire», concède Gregor Mathias. «Le FLN assure qu’il y a eu énormément de morts, l’État reconnaît une répression, mais n’a pas de chiffres précis.»

Au-delà du nombre de disparus, le contexte et les circonstances de la tuerie sont elles aussi sujettes à débat. «Les militants mémoriels du 17 octobre 1961 ont très peu insisté sur les faits susceptibles de rendre compréhensible le déchaînement de la violence policière», note Guy Pervillé. En 1961, le FLN avait organisé une grande campagne d’attentats en métropole contre les policiers. Ce sont d’ailleurs ces attentats qui poussèrent Maurice Papon, préfet de police de Paris, à déclarer le 10 octobre le couvre-feu pour les travailleurs algériens, cause de la manifestation.

Ajoutés à cela, le manque d’effectifs des forces de l’ordre - «1.300 policiers face à au moins 28.000 manifestants», précise Gregor Mathias - et le caractère non déclaré du rassemblement. «Imaginez un groupe violent, qui organise des attentats, et qui prépare une manifestation non déclarée vers des lieux de pouvoir en centre-ville… Ça ne pouvait que mal se passer», résume Gregor Mathias. «Ce qui ne veut pas dire pour autant que la répression française ne fut pas critiquable», ajoute Guy Pervillé.

Et maintenant ?

D’un côté, le souvenir d'une répression violente pour une manifestation pacifique, de l’autre, une mémoire aux prises avec sa part d'ombre. Avec le 17-Octobre, Emmanuel Macron avance en terrain inconnu pour ne pas dire miné : la règle chez ses prédécesseurs était plutôt le silence. Il a fallu attendre 2001 pour que le maire de Paris Bertrand Delanoë inaugure une plaque commémorative. Du côté des chefs d’État, seul François Hollande a reconnu «une sanglante répression» dans un communiqué publié en 2012.

Fallait-il aller plus loin ? Le discours d’Emmanuel Macron s’est quoi qu'il en soit inscrit dans un contexte de relations diplomatiques très tendues avec l’Algérie, depuis que la France a annoncé le durcissement des conditions d’obtention des visas à l’égard de ce pays. Mais les soixante ans du 17-Octobre interviennent également en pleine campagne électorale, difficile pour le président de ne pas songer à une diaspora algérienne présente en France. Avant même cette prise de parole, Gregor Mathias avait prévenu : «les mots d'Emmanuel Macron auront beaucoup d’importance».

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