Au lendemain des frappes occidentales en Syrie, le président de la République Emmanuel Macron s’est longuement exprimé au cours d’une interview fleuve. L’occasion pour lui d’expliquer la décision de ces frappes aériennes, mais aussi de répondre aux questions concernant les conflits sociaux, les retraites, le projet de loi Asile et Immigraton, ou encore sa vision de l’Europe.
«Je crois en une Europe souveraine»
«Je vois en Europe des démocraties où les peuples se sont installés dans une fatigue. Des démocraties qui s’habituent à la faiblesse, aux aux inégalités, aux colères. Je crois en une Europe souveraine, je crois dans la souveraineté de notre pays sur les sujets qui dépendent d'elles : l'immigration, l'évasion fiscale. Mais je crois aussi à une souveraineté européenne».
Le projet de loi Asile et Immigration : «le droit d'asile est constitutionnellement défendu»
«Nous avons un phénomène migratoire qui est là et qui va durer, car il y a des conflits géopolitiques, climatiques et une démographie africaine qui est là et qui est une véritable bombe. dans ce contexte, je reste attaché au droit d'asile, qui est consitutionnel depuis 1946. Il nous impose d'accueillir toutes les femmes et les hommes qui risquent leur vie dans le pays d'où ils viennent. Et nous les accueillons : le droit d'asile est constitutionnellement défendu et respecté».
Concernant les mineurs en détention, Emmanuel Macron assure que «les enfants qui sont seuls ne seront pas mis dans des centres de rétention».
«L’islamisme radical n’est pas l’Islam»
Interrogé sur l'Islam, Emmanuel Macron parle d'«une religion qui a pris une place plus importante lié aux migrations successives, et à la démographie. Nous avons de plus en plus de Français et de Françaises qui croient dans cette religion. Aujourd’hui, les chiffres sont à prendre avec précaution, entre 4,5 millions et 6 millions qui croient dans l’Islam».
Pour Emmanuel Macron, «nous devons accepter ces libertés de religions et de croyances». Le président de la République insiste que le fait que «cette peur (de l’Islam chez certains Français) se nourrit d’un fait que nous devons regarder en face : l’islamisme radical, ce n’est pas l’Islam».
Face au défi de «récupérer des enfants de la République» prêts à céder à la tentation du jihad, Emmanuel Macron estime qu’il s’agit de «l’un des plus grand défis de notre nation».
Un président tout-puissant ?
Interrogé sur une possible illusion de toute-puissance, Emmanuel Macron évoque cette interview pour démontrer le contraire.
«Si je croyais à la toute puissance, je vous répondrais : "je vais décider ainsi, j’ai la solution, je vais le faire de suite". Je crois à la démocratie pleine et entière, à la force de nos institutions. L’autorité n’est pas la toute-puissance, elle a un fondement dans notre République, elle est démocratique : c’est l’élection.
La conviction que je mets dans mon engagement a une racine : le mandat que m’ont donné les français qui ont décidé de me confier la responsabilité du pays. Ce que je leur dois c'est d’être constant dans mes convictions, ce n’est pas la toute puissance».
Les occupants de Notre-Dame-des-Landes n'ont «plus aucune raison d'être là»
A l'issue d'une semaine d'expulsions et de heurts sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, le président de la République a rappelé les zadistes à l'ordre. «Il y a plus d'une soixantaine de gendarmes blessés, c'est inadmissible. Je crois en l'ordre républicain. Il y a une phase de négociation dans le cadre républicain mais, pour le reste, l'ordre sera fait parce que la République a besoin d'ordre», a-t-il affirmé.
Il a ajouté qu'à l'issue d'un nouveau délai de régulation, fixé au 23 avril prochain, «tout ce qui devrai être évacué le sera», dont les individus qui n'ont «aucun projet réel» et occupent ce site illégalement.
Le président a également estimé que la colère des zadistes n'était pas «légitime», contrairement à celle qui touche les cheminots et les employés des hôpitaux.
Les étudiants sont «souvent minoritaires» parmi ceux qui bloquent les universités
«Je n'ai pas dit que les étudiants étaient des agitateurs. Ce que je constate c'est que dans les université où des amphis sont occupés, les étudiants sont souvent minoritaires. On voit des groupes qui mènent un projet politique dont la finalité, ou une partie de la finalité est le désordre, et cela n'a rien à voir avec la réforme des universités». Aux yeux d'Emmanuel Macron, «ceux-là sont des professionnels du désordre».
L'Etat reprendra progressivement la dette de la SNCF à partir du 1er janvier 2020
«A partir du 1er janvier 2020, l’Etat reprendra progressivement la dette de la SNCF», annonce Emmanuel Macron.
«Aujourd’hui, nous sommes face à une SNCF qui est 30% moins performante que ses grands voisins. L’Etat n’a pas sous-investi, il a parfois mal investi : dans des grandes infrastructures et pas suffisamment renouvelé les rails du quotidien, des petites lignes».
Le président de la République assure qu'il ne «veut pas privatiser la SNCF», estimant que cela n'aurait «aucun sens».
Toujours à propos de la SNCF et du statut des cheminots, il a annoncé que que «tous les régimes spéciaux auront vocation à disparaître». «Il ne s'agit pas de stigmatiser les cheminots. On est face à des règles ou il n'y a pas de polyvalence. Les temps de travail ne sont pas cohérents avec le reste de la société. Il y a des règles de maintien dans la société, plus contraignante que dans la fonction publique».
«Nous devons refonder le système de retraite»
Emmanuel Macron annonce qu'il faut, dans les 10 ans, que tout le monde converge vers «un système de retraite unique», tout en «gardant le système par répartition qui crée une solidarité intergénérationelle». L'objectif est de tendre vers «des régimes simples avec des règles de calculs pour tous».
La situation des hopitaux en France, «le fruit de plusieurs décennies de mauvaises décision prises»
«L'hôpital est étranglé par un système devenu comptable qui s'appelle la tarification à l'activité. Nous avons augmenté le budget de la santé, mais pas au rythme que certains voudraient». Emmanuel Macron fixe un rendez-vous fin mai pour communiquer ses décisions sur le sujet, mais prévient déjà qu'il n'y aura «pas d'économies sur l'hôpital durant le quinquennat».
Le problème des Ehpad est également abordé, Emmanuel Macron a reconnu que le manque de personnel était «un vrai problème» : «Nous avons aujourd'hui un choc démographique. Les Ehpad étaient adaptées à ce qu’étaient jusqu’alors ces maisons qui consistait à suivre des personnes qui perdent leur dépendance». Le président de la République a reconnu qu'il n'y avait «pas d'autre choix» que d'investir.
Le président de la République estime qu'une deuxième journée travaillée non-payée serait «une piste intéressante», après que la piste a été évoquée par la ministre de la Santé Agnès Buzyn.
«Rien n'est encore décidé» au sujet de la taxe foncière
«Aujourd'hui, les valeurs locatives sont censées traduire la valeur du bien, avec un taux fixé par les collectivités territoriales. Nous devons refondre en profondeur notre fiscalité locale. Cette taxe d’habitation qu’on va supprimer, on le fait pour les villes moyennes et les petites villes. C’est là qu’elle était la plus élevée. Elle touche surtout les classes moyennes».
Emmanuel Macron s'est également engagé à ne pas augmenter la pression fiscale : «il n'y aura pas de création d'un nouvel impôt local, ni d'un impôt national.»
Un effort demandé aux retraités
«Oui, on leur a demandé un effort pour pouvoir justement réussir à baisser les cotisations sociales salariales de tous les travailleurs de France pour que le travail paye mieux». Ainsi, «pour une personne qui travaille au niveau du SMIC, ce sera 32 euros par mois en plus. Ca c’est la priorité. C’est un choix de solidarité intergénérationnelle que j’ai demandé à nos anciens».
Dans l'ensemble, Emmanuel Macron assume ses réformes, notamment celle de l'impôt sur la fortune qui doit permettre «de garder les talents et de les attirer en France. Il faut qu'on ait un système qui favorise les entrepeneurs».
Un dialogue social beaucoup plus important
Interrogé sur les différents plans sociaux, Emmanuel Macron déclare croire en «un dialogue social beaucoup plus important au niveau des entreprises et des branches».
A ses yeux, «le dialogue social qui fonctionne, c'est celui qui permet au niveau des branches d'avoir des bonnes réponses, c'est celui qui permet par l'entrée des salariés dans les conseils d'administration. On doit permettre que chaque salarié puisse avoir sa part quand l'entreprise va mieux». L'objectif du président est de «rendre le travail plus rémunérateur», dans le but de «remettre le pays au travail».
Les fraudes fiscales en question
Interrogé sur le fait que seules les fraudes fiscales les plus importantes sont transmises à Bercy en vue d'une enquête, Emmanuel Macron dément : «Il n’y a pas de cadeau dans notre pays. un des pays où l’administration fiscale va recourir le plus rapidement l’argent. va au devant des citoyens qui fraude».
Le président se déclare également «prêt à ce qu'on définisse un seuil au-delà duquel on transmet systématiquement les dossiers à la commission».
La situation en France : «j'entends les colères»
Le président de la République assure «entendre toutes les colères», mais se concentrer sur les «colères légitimes». «Elles correspondent à des réformes en cours. Pour les cheminots : c'est une colère que je comprends et que je respecte, mais qui est liée à une réforme que nous mènerons jusqu’à son terme».
Légèrement agacé, Emmanuel Macron assure que son «objectif reste de réconcilier et d’unir le pays mais on ne l’unira pas par l’inaction, en cédant à la tyrannie de minorités qui se sont habitués à ce que l’on cède».
S'asseoir à la table des négociations avec la Russie et la Turquie
«Mon objectif, c’est de pouvoir au moins convaincre les Russes et les Turcs de venir autour de la table des négociations».
Emmanuel Macron annonce de nombreuses étapes diplomatiques : «l'un des objectifs, c'est de mettre autour de la table islam sunnite et chiite. Depuis le début, la France a un rôle dans cette communauté internationale : continuer à parler avec tout le monde et être en désaccord avec les Etats-Unis sur le traité iranien. Je continuerai a mener ce travail».
Construire la paix
Emmanuel Macron maintient que l'objectif de ces frappes est d'enclencher un processus de paix en Syrie. «Nous étions arrivé à un moment où cette frappe était indispensable pour pouvoir redonner de la crédibilité à la parole de la communauté internationale. Pour construire cette solution durable de la Syrie, il nous faut parler notamment avec l'Iran, la Russie et la Turquie».
Interrogé sur la souffrance du peuple syrien, Emmanuel Macron répond sèchement : «de là où je suis, on ne peut pas se contenter de donner des leçons de morale depuis Paris».
Respect du droit international
Interrogé sur la légitimité de cette intervention au regard du droit international, Emmanuel Macron rappelle qu'«il y a une résolution de septembre 2013 qui prévoit l’usage de la force si l'interdiction de l’usage d’armes chimiques n’était pas respecté. Les Russes ont bloqué constamment les votes. Les Russes sont complices».
Le président de la République rappelle également que la France «est intervenue dans un cadre très précis : 1. dans le cadre de la légitimité internationale 2. sans déclarer la guerre au régime d'Assad 3. sans aucun dommage collatéral à l'égard des Russes». Le président répète à plusieurs reprises que ces frappes ne sont pas «un acte de guerre».
«Trois sites de production d'arme chimique visés par les attaques»
Emmanuel Macron est immédiatement interrogé sur l'opération en Syrie. A ses yeux, «l’histoire jugera» cette opération, dont il donne des détails :
«Trois sites de production et de traitement d’armes chimiques, identifiés depuis plusieurs mois, ont été visés par ces attaques : un site de manière conjointe avec les forces américaines et britanniques, le deuxième uniquement par les Américains, le troisième uniquement par les Français. Nous avons réussi l’opération sur le plan militaire. L’intégralité des missiles tirés ont atteint leur objectif. Il n'y a eu aucune victime de leur côté aux dires des Syriens et des Russes».
«La décision a été prise dès dimanche dernier, après les premières trace d'utilisation d'arme chimique dans la Ghouta orientale».
«La communauté internationale est intervenue, et l’a fait de manière extrêmement précise. En Syrie nous menons une guerre contre Daesh, c’est notre priorité et notre unique engagement militaire en Syrie»
Le théâtre national de Chaillot, un lieu chargé d'histoire
Construit à la place du palais du Trocadéro érigé à l'occasion de l'Exposition universelle de 1878, le palais de Chaillot, tel qu'on le connaît aujourd'hui, a été conçu par les architectes Léon Azéma, Jacques Carlu et Louis-Hippolyte Boileau pour l'Exposition universelle de 1937.
Il est le berceau du Théâtre national populaire, fondé par Firmin Gémier en 1920, puis développé par Jean Vilar. C'est aussi dans le Palais de Chaillot que l'Assemblée générale de l'ONU a adopté, le 10 décembre 1948, la Déclaration universelle des droits de l'homme, texte fondateur qui a inspiré le droit international d'après-guerre.
Emmanuel Macron est arrivé sur place en compagnie de son épouse, Brigitte Macron.